mercredi 9 mars 2016

La décentralisation au Québec par André Larocque, 2008

LA DÉCENTRALISATION AU QUÉBEC


La première chose que je conseillerais à des gens du PQ qui veulent penser sérieusement à la décentralisation, c’est de lire le texte de René Lévesque en annexe à Libérer les Québecs.

            « Il est urgent de réviser la répartition des pouvoirs dans notre collectivité pour    rapprocher des citoyens les pouvoirs de décision… »

Pour ceux qui n’ont pas le temps de tout lire, leur rappeler que pour le fondateur du PQ :

            « La décentralisation est un vaste pouvoir collectif qui renouvelle la façon de vivre en      société…c’est une conception démocratique de l’organisation sociale et          politique…c’est un acte de confiance envers les individus et un appel à leur        créativité…c’est l’assise de solidarités nouvelles tant au niveau des milieux de vie             quotidiens que dans la définition et l’organisation de services communautaires…c’est      l’occasion d’affermir la confiance des citoyens dans leurs institutions, c’est une    nouvelle façon de vivre en société … »

Par ailleurs, monsieur Lévesque détestait le mot « décentralisation » qui est une invention technocratique, et préférait parler de « démocratie régionale et locale ».

Question l :

Oui.
Devant la Commission nationale sur l’avenir du Québec, les citoyens ont parfaitement défini la décentralisation :

            « le citoyen constitue le pivot de la décentralisation;

            les citoyennes et les citoyens élisent leurs représentants au suffrage universel et ces           derniers répondent de leurs décisions devant l’ensemble de la population dont ils         tiennent leur mandat;

            les nouvelles instances décentralisées doivent se voir reconnaître l’autonomie la plus        large possible et la maîtrise d’œuvre de leur développement dans leurs domaines         respectifs de responsabilité;

            les pouvoirs régionaux se dotent des ressources financières et fiscales adéquates et           proportionnelles aux nouvelles responsabilités qui leur sont dévolues;

            il faut faire en sorte que la responsabilité d’un service public soit confiée au palier de       gouvernement le mieux placé pour le fournir à meilleur coût à la population ».

            (Rapport de la Commission nationale sur l’avenir du Québec, 1995, page 33)

On se fourvoie depuis plus de cinquante ans  sur la décentralisation parce qu’on s’attend à ce que son contenu soit défini par les partis politiques, les gouvernements, les administrations, les maires, etc

On n’y arrivera que la journée où on acceptera d’admettre qu’il s’agit plutôt d’une affaire

                                               DE CITOYENS,

                                               DE SUFFRAGE UNIVERSEL,

                                                DE GOUVERNEMENTS RÉGIONAUX

Dans ce sens, le comité du PQ se fourvoie à son tour par ses questions.
Il ne s’agit pas de définir pour eux ce que les citoyens veulent ou devraient avoir.
Il s’agit d’établir le cadre où les citoyens décident.
En démocratie, les citoyens décident.
Les décisions sont assumées par des gouvernements.
Ce qu’il faut faire, c’est d’établir des gouvernements régionaux sur des territoires précis,
où les citoyens, dans le cadre normal d’une compétition entre partis politiques, prendront leurs décisions chez eux. 

Donner des réponses générales à des questions générales, comme l’y incite le questionnaire du PQ, c’est :
            *          se substituer aux citoyens
            *          postuler que chaque région veut avoir les mêmes pouvoirs (ce qui est la                            contradiction même de la décentralisation)
            *          retarder encore indéfiniment l’arrivée de la décentralisation
            *          continuer à en faire une question administrative plutôt que politique.

Le questionnaire perpétue l’erreur qu’on fait depuis toujours.  Au lieu d’être une occasion où on se concentre sur « les pouvoirs des citoyens », il s’arrête beaucoup sur des « structures », des « aménagements de responsabilités ».  La question n’est pas de savoir ce que veulent les maires, les préfets, les CRE, les municipalités ni les partis politiques.  La question est de savoir ce que veulent les citoyens.  Et il n’y a pas de grand mystère là-dedans.  Depuis des années, les citoyens se présentent devant les commissions comme Bélanger/Campeau, ou comme celles nationale et régionales sur l’avenir du Québec; ils se font entendre à l’occasion de livres blancs ou verts (Picotte, Gendron, Chevrette, etc.) et disent très clairement la même chose, soit ce qui est exprimé par le Rapport sur l’avenir du Québec, tel que cité plus haut.

* * *

Dans le même esprit, les réponses que je donnerai aux questions sont des réponses personnelles.  Ce sont des avis donnés en tant que citoyen.  Ce que j’attends de beaucoup plus fondamental, c’est un gouvernement régional où je participerai à prendre des décisions. 

Question 2 :

Oui à la première option.
« une structure territoriale consolidatrice », en démocratie, ça s’appelle un « gouvernement régional ».


Question 3 :

Remplacer « entre les municipalités traditionnelles et l’État » par « entre les citoyens de chaque région et l’État ».


Question 4 :

a)         on n’accorde pas des « responsabilités publiques » à des régions administratives,             justement parce quelles sont administratives.  Il faut que les régions administratives           (avec aménagement si nécessaire) deviennent des régions politiques (donc avec           élections au suffrage universel)

b)         les MRC sont un rassemblement de maires.  Si cette structure doit rester puisqu’elle        semble assez bien implantée maintenant, il faut largement agrandir les pouvoirs du    préfet en l’élisant au suffrage universel.  Les maires n’ont pas reçu des citoyens la            légitimité de prendre des décisions régionales.

c)         il me semble évident que les municipalités ont besoin de plus de pouvoirs et plus de        moyens mais je n’y connais pas assez pour faire des propositions concrètes.

d)        oui, à des gouvernements régionaux.


Question 5 :

De façon générale, je souhaiterais que l’éducation primaire et secondaire soit sous la responsabilité des municipalités (avec abolition des commissions scolaires) et que l’éducation collégiale et universitaire soit sous responsabilité régionale.  À l’État québécois doit rester un certain contrôle sur la coordination et la qualité de l’ensemble (exemple : des exigences centrales uniformes aux examens finaux).

Comme dit René Lévesque :

            Le rôle de l’État à Québec, c’est d’être « un lieu de convergence des aspirations collectives et un outil d’orchestration des grands objectifs sociaux, culturels et     économiques du pays… »


Question 6 :

Oui, en attendant des gouvernements régionaux.


Question 7 :

Oui, férocement!


Question 8 :

En élisant des gouvernements régionaux d’une part.
D’autre part, en faisant élire les députés de l’Assemblée nationale par représentations proportionnelle comme le souhaitait ardemment René Lévesque.

            « La plus grande déconvenue de René Lévesque au caucus lui vint de l’avortement de      son projet concernant la représentation proportionnelle…  Il croyait en l’absolue       nécessité de ce mode de représentation électorale…  Ce fut là pour René Lévesque, démocrate, une déception amère ».
            Jérôme Proulx.  René Lévesque : l’homme, la nation, la démocratie ».  Presses de            l’Université du Québec, 1992, page 137.  (Jérôme Proulx était député du PQ pour            Saint Jean et présent au caucus qui a torpillé le projet Lévesque).


Question 9 :

La démocratie, ce n’est pas quand les citoyens « participent », c’est quand les citoyens « décident ».  La participation est une forme d’entraînement de la décision, mais c’est la décision qui est la base de l’affaire.

Question 10 :

S’il y avait des gouvernements régionaux élus au suffrage universel, il est fort possible que le poste actuel de préfet serait inutile.  Mais aussi longtemps qu’on le conserve, la démocratie exige qu’il soit élu.


Question 11 :

Même réponse qu’à 10.


Question 12 :

Pas facile pour moi de donner une réponse complète.
Faudrait d’abord leur laisser les revenus qu’ils génèrent eux-mêmes déjà : redevances de ressources naturelles, au moins une partie des taxes aux compagnies en région, permis de toutes sortes, etc.
Par la suite, comme pour tout gouvernement, c’est l’élection de gouvernements régionaux et donc l’option que font les citoyens pour certaines priorités plutôt que d’autres qui devraient être la base sur laquelle des revenus actuellement à Québec doivent être transférés.  On peut penser à un budget de démarrage, mais c’est la dynamique de chaque région qui déterminera les besoins financiers.


Question 13 :
La question équivaut à dire : « quels sont les dangers ou les limites de la démocratie? ».  Bien sûr on peut en voir, mais ils sont inférieurs à ceux découlant de décisions prises hors de la portée des citoyens ou même contre les intérêts des citoyens.


Question 14 :

Il ne faut pas tenter de « faire progresser le principe de la décentralisation politique au sein de l’appareil administratif du Québec ».  Il s’agit d’une question politique et non pas administrative.  La haute fonction publique est un des ennemis traditionnels les plus acharnés de la décentralisation.  C’est aux élus à Québec de mettre l’administration publique au service des citoyens.

Pour ce qui est de « l’appareil politique du Québec », si les élus n’arrivent pas à comprendre par eux-mêmes, comme ils le font depuis 1960, le meilleur moyen est de leur mettre les citoyens aux trousses!  C’est justement ce à quoi s’occupe la Coalition pour un Québec des régionaux.

(il serait intéressant pour les gens du PQ de prendre note que l’ADQ, dans son programme officiel, préconise des gouvernements régionaux élus au suffrage universel), le seul parti à date à s’aligner sur l’essentiel (reste à voir bien entendu s’ils y croient!)


Question 15 :

Si on parle d’institutions nationales québécoises, un bon moyen serait d’examiner l’idée lancée par la Coalition pour un Québec des régions d’une seconde chambre, Conseil des régions, avec membres élus au suffrage universel et idéalement avec représentation égale des régions.


Un mot en conclusion


Comme le dit souvent Claude Béland, le Québec n’a pas des régions, le Québec, c’est des régions.  Bâtir les régions, c’est bâtir le Québec.  Les gens sur le terrain sont froids devant le projet du PQ, et de plus en plus,  parce qu’il apparaît comme un projet de se donner un État souverain alors qu’en démocratie, l’État souverain est l’effet de la souveraineté populaire et non pas l’organisation d’un certain nombre de structures et d’aménagements.  Le PQ demande au monde de miser sur lui.  Il fait fausse route.  Il faut que le PQ mise sur les citoyens.  Or les citoyens ne sont pas que « nationaux », ils sont aussi, dans leur vie quotidienne, « municipaux » et « régionaux ».

En somme, « libérer les Québecs », c’est un pas nécessaire vers « libérer le Québec »


André Larocque, Québec, le 22 juillet 2008




            

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