# Présentation
Les sociétés modernes sont confrontées à une véritable épidémie de maladies chroniques : cancers, maladies cardiovasculaires, obésité et diabète, allergies, affections mentales… Or, elles sont très largement évitables, car elles sont la conséquence de notre mode de vie et de notre environnement.
Selon l’Organisation mondiale de la santé, elles sont responsables de 86% des décès et représentent 77% des cas de maladies en Europe. Elles sont ainsi devenues la cause majeure de la crise des systèmes de santé.
En France, le « Sécu » a certes permis l’accès aux soins pour tous, mais elle n’arrive pas à répondre à cette crise. Et au nom de la lutte contre le « trou de la Sécu », on cherche à convaincre les Français qu’il faudrait remplacer le principe de solidarité par une logique individualiste d’assurances privées.
Mais les solutions libérales sont une illusion, comme le montre André Cicolella dans cet essai rigoureusement argumenté : elles ne répondent pas à la question et ne peuvent, au contraire, que faire empirer la situation.
À l’inverse, explique-t-il, il est possible de surmonter la crise en agissant sur les causes environnementales et comportementales des maladies et en sortant du "tout médicament". Et aussi en réinventant un système de santé de proximité, un financement plus juste et en instaurant une véritable démocratie sanitaire. Bref, en refondant un véritable système de santé et pas seulement un système de soins.

# L'auteur
  • André Cicolella est chercheur en santé environnementale et président de la Commission Santé des Verts.
  • Il est l’auteur de Alertes santé (avec Dorothée Benoît-Browaeys, Fayard, 2005).
# L'ouvrage
  • EDITION : La Découverte
  • COLLECTION : Sur le vif – 144 pages

"Le défi des épidémies modernes" - Table des matières

Introduction : Répondre au défi des épidémies modernes
Partie I - Nos maladies ont changé
1 - L'épidémie de maladies chroniques
2 - Les maladies chroniques : des causes principalement environnementales
3 - L'impact sanitaire de la mutation des modes de vie
4 - L'impact sanitaire de la pollution croissante de l'environnement
5 - De la première à la seconde révolution de santé publique

Partie II - Les raisons de la crise du système de santé
6 - De l'hospice à l'hôpital et de l'hôpital à l'hospice ?
7 - Un système de soins de proximité qui s'est délité
8 - Une France accro aux médicaments
9 - De la prévention à la précaution
10 - Une crise économique et démocratique

Partie III - Sortir de la crise (par le haut)
11 - Pour une maîtrise sanitaire
12 - Refonder le système de soins
13 - Refonder la prévention
14 - Refonder la démocratie sanitaire

Conclusion : Pour un système de santé efficace et démocratique

"Le défi des épidémies modernes" - Introduction

La société AG2R Prévoyance a fait faire un sondage publié le 19 octobre dans le Figaro, sur le thème « Les Français, la santé et l’argent » . Pour les commanditaires, l’idée était destinée à mesurer le sentiment de désamour des Français vis à vis de leur système de santé et d’assurance maladie et mesurer comment progresse la logique individualiste pour mieux avancer le projet de la privatisation de l’assurance maladie. AG2R n’est en effet pas n’importe qui. C’est un des grands acteurs des complémentaires santé : 6ème assureur santé en France (3ème en collectif, 10ème en individuel) avec 1,6 million de bénéficiaires d'une complémentaire santé AG2R (individuelle ou collective). Le résultat du sondage est décevant pour le commanditaire : les Français sont favorables en priorité à une augmentation des cotisations sociales (45%), plutôt que les cotisations complémentaires (25%) ou le reste à charge (17%).
Pour ceux attachés au principe de solidarité et qui considèrent que la réforme de 1945 a été une conquête sociale majeure, ce sondage est par contre une excellente nouvelle. Les Français disent en effet qu’ils sont très attachés à ce système ! Pour eux, c’est un des meilleurs du monde (83 %) et la branche maladie de la sécurité sociale reste la meilleure illustration de la solidarité entre les Français (à 60 %), devant l’aide aux personnes âgées (50%), le système de retraite (45 %) et loin devant l’assurance chômage (33 % ) ! Autre bonne nouvelle : on pensait que les Français étaient accros aux petites pilules de l’industrie pharmaceutique. Pas tant que çà ! A la question : pensez-vous que votre santé dépend principalement de votre mode de vie (nutrition activité physique) 80 % répondent oui, contre 18 % qui pensent qu’elle dépend principalement des progrès de la médecine. Les points de vue sont tranchés, d’autant que seuls 2% ne répondent pas à cette question ! Autre point de vue tranché : 80 % (contre 19 %) pensent que nous ne sommes pas égaux devant le système de santé. Une majorité (53% contre 42 % ) pensent que l’augmentation du financement ne permettra pas une meilleure qualité des soins et ils perçoivent le système comme inégalitaire avec une qualité de soins qui se détériore et des dépenses de moins en moins bien remboursées. Autant dire que la société française ne croie pas au discours d’un progrès sanitaire assimilé au progrès médical, et n’est pas prête à écouter les sirènes libérales, qui prônent une privatisation du système de santé, mais qu’elle est consciente de la nécessité de réforme, sans remettre en cause le système solidaire, et en se préoccupant plus de prévention. Au-delà des préoccupations classiques liées à la santé, les Français expriment ( L’offensive est pourtant soutenue ces derniers temps pour leur faire penser le contraire. Le groupe d’assurance MMA, qui bien que portant le nom de Mutuelle est une vraie assurance privée, a lancé une opération de ristourne sur les primes d’assurance, pour ceux qui consomment peu. Sans surprise, le député UMP Jean-Michel Dubernard, un des candidats de la droite au poste de Ministre de la Santé, a saisi la balle au bond : MMA, dit-il , pose les vraies questions, et si la réforme actuelle ne marche pas, il faudra prévoir un système qui laisse la place à des modes de financements individualisés. Mais ce point de vue se retrouve aussi à gauche. Gilles Johannet, militant socialiste, ancien directeur de la CNAM et aujourd’hui directeur santé aux AGF , ne visait pas autre chose avec son projet Excellence destiné à fournir une couverture médicale de haut niveau …et à haut prix ! Le système de soins à 2 vitesses…Le scandale de cette assurance a ému même l’Ordre des Médecins et conduit les AGF à retirer le projet, mais ce n’est vraisemblablement que partie remise.
Un pays européen , les Pays Bas a basculé vers un système d’assurances privées au 1er janvier 2006. L’équivalent de la CNAM aux Pays Bas est devenu une assurance privée et est maintenant en concurrence avec les homologues d’AXA ou d’AGF… ! Ce serait faire injure aux compagnies d’assurance que de dire qu’elles n’ont que des stratégies nationales. A l’évidence, l’opération Pays Bas est un test en vraie grandeur dans un pays européen et on peut s’attendre à une offensive en France et dans les autres pays européens pour accréditer l’idée que pour faire face à la crise des systèmes de santé, il faut prendre exemple sur les Pays Bas qui ont su tourner le dos aux assurances socialisées et faire confiance aux assurances privées, forcément meilleures gestionnaires . Le motif de la réforme aux Pays Bas était en effet que le système de santé coûte trop cher maintenant….pour un pays qui dépense cependant moins que la France ou l’Allemagne ! Bien que le principal pays où cette logique privatisée est appliquée, les Etats Unis, apporte la preuve que ce n’est pas la solution à la crise, mais au contraire que cela amplifie la crise, il est effectivement plus habile de s’appuyer sur une expérience plus présentable, celle des Pays Bas. Bien évidemment, les assureurs sauront les premières années respecter les règles de déontologie et ne pas sélectionner par le risque, mais, bien évidemment aussi, lors que la bascule sera faite et qu’ il ne sera plus possible de revenir en arrière, on s’acheminera vers une logique américaine.
Ce n’est pas un procès d’intention. Il y a quelques années AXA avait pratiquement doublé d’une année sur l’autre ses primes pour les handicapés, jusqu’à ce qu’il fasse machine arrière devant le tollé suscité par cette mesure. Il n’y a qu’à voir comment les assureurs ont brutalement augmenté les primes des Chirurgiens Obstétriciens Gynécologues, avant même que les coûts augmentent , pour savoir que l’objectif des sociétés d’assurances est de satisfaire leurs actionnaires et non pas d’assurer dans ce pays le plus haut niveau de protection sociale, encore moins de promouvoir la santé. Il faut dire aussi que cette offensive trouve des oreilles complaisantes du côté de la Commission Européenne, qui multiplie les tentatives pour introduire la santé dans la liste des services qui peuvent être libéralisés.
C’est pour cela qu’il est urgent que le débat autour de l’avenir de notre système de santé s’installe dans la campagne présidentielle. Malgré l’attachement des Français à leur système, l’offensive libérale peut être victorieuse, si elle réussit à faire passer l’idée que la réforme de la privatisation est inéluctable et qu’elle est la seule solution pour maîtriser les dépenses de santé. L’offensive MMA montre la stratégie qui va être suivie, jouer les jeunes contre les vieux, les bien portants face aux malades…comme si les jeunes d’aujourd’hui ne sont pas les vieux de demain , comme si les bien portants d’aujourd’hui ne sont pas les malades de demain…….comme si il n’y avait pas d’autre voie que la maîtrise comptable des coûts de santé.
Face à cette offensive, certains peuvent être tentés de nier la crise et de combattre l’offensive libérale, sur le thème « Le trou de la Sécu, c’est du bidon » et « c’est une bonne chose de toute façon de dépenser plus pour la santé ». Comme si toute augmentation , quelle qu’elle soit, était bonne à prendre, comme si on ne pouvait pas avoir un débat sur la meilleure façon de dépenser. Certes les arguments sur les dettes de l’Etat non payées , sur les exemptions de charge des entreprises, sur l’impact du chômage sur les rentrées de cotisations, ont une certaine réalité, mais il n’en reste pas moins vrai que la crise existe. Curieusement , s’agissant des militants de gauche et d’extrême gauche qui développent ce point de vue, l’argumentaire, reste purement économiste et ne prend pas en considération les questions de santé. Comme si nous n’étions pas en face d’épidémies de maladies chroniques, comme si aussi la sécu, grande conquête sociale était forcément parfaite et la critiquer ferait forcément le jeu de l’adversaire, comme si la crise de l’amiante n’était pas là pour montrer les carences du système….
Car la crise du système de santé est bien réelle et il faut démontrer que l’on ne peut y répondre par la privatisation. La privatisation n’est jamais que la continuation de ce qui a été fait depuis 30 ans, par les gouvernements de gauche comme de droite, c’est à dire des mesures purement comptables, dont le dernier expédient a été de renvoyer la dette sur les générations futures…. !
Notre système de santé est malade de la croissance des épidémies modernes, (cancer, obésité, allergies, affections mentales..). La déclaration de l’OMS de sept 2006 a lancé aujourd’hui l’alerte sur l’épidémie de maladies chroniques, qui représentent 86% de la mortalité, 77 % de la morbidité et , nous dit l’OMS, menace l’existence même des systèmes de santé . Il est malade des crises de sécurité sanitaire (amiante, canicule, chikungunya…), qu’il n’a pas su anticiper, malade d’un système de soins peu coordonné et peu évalué, de la prééminence d’une certaine logique curative basée sur la recherche de l’exploit technique et laissant dans la marginalité la prévention et le pluralisme thérapeutique, malade de l’ absence de démocratie….malade en fait de penser en termes de soin et jamais en termes de santé.
Il est possible de montrer que les solutions libérales sont non seulement injustes, mais en plus ne répondent pas aux problèmes. Il est possible de montrer que ce n’est pas la maîtrise comptable, ni la maîtrise médicalisée qui est la réponse à la crise du système de santé, mais la maîtrise sanitaire. Il est temps de dire ce qui est une évidence mais qui semble avoir été oublié par beaucoup que l’objectif d’un système de santé est d’assurer le meilleur niveau de santé de la population et non pas en premier chef d’assurer une rente aux industries pharmaceutiques et médicales, ou aux professionnels de santé, quel que soit le mérite des uns et des autres. D’autres sondages montrent d’ailleurs que les mentalités évoluent. Le modèle du médecin seul dans son cabinet exerçant son sacerdoce tel un prêtre laïc, sans compter son temps ni sa peine n’est plus le modèle des jeunes générations. Celles-ci aspirent à travailler autrement. En témoignent les réalisations de maisons de santé par exemple lancées à l’initiative parfois de jeunes médecins.
C’est un changement de logique qui est nécessaire. Le sondage du Figaro montre que la société française est prête. C’est aux politiques de faire leur travail, en proposant une réponse politique à la crise. Une réponse politique, c’est comprendre ce qui a bougé dans la société et ce qui doit être changé au plan institutionnel pour être étendu à la société.
Ce livre entend apporter sa contribution au débat. Il s’appuie sur l’expérience de chercheur en santé environnementale de l’auteur, qui l’a amené à comprendre comment les facteurs de risques environnementaux pouvaient avoir un impact profond sur la santé des populations, mais cette expérience de chercheur ne serait rien sans celle accumulée en tant que responsable de la commission santé des Verts depuis plusieurs années et aux débats acharnés comme savent les mener les Verts. Ce livre leur doit beaucoup, mais il n’engage néanmoins que son auteur.
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Le défi des épidémies modernes Comment sauver la Sécu en changeant le système de santé (André Cicolella) 2007 – éditions La Découverte 142 pages 9 € (Notes de lecture de Jean-Paul Allétru - Septembre 2007) Boucher le sempiternel « trou de la Sécu » en remplaçant le principe de solidarité par une logique individualiste d’assurances privées, est-ce la solution ? Non, nous dit André Cicolella. Il faut prendre le problème par le bon bout. Les épidémies modernes résultent de notre mode de vie et de notre environnement, c’est donc là-dessus qu’il faut agir. En refondant un véritable système de santé, et pas seulement un système de soins. André Cicolella est chercheur en santé environnementale et président de la Commission Santé des Verts. Il est l’auteur de Alertes Santé (avec Dorothée Benoît-Browaeys, Fayard, 2006). Nos maladies ont changé. Dans la France de 1906, les maladies infectieuses étaient la première cause de mortalité (19 %), loin devant les maladies respiratoires (13 %), les maladies cardiovasculaires (12,5 %) et les cancers (3,5 %). En 1990, les maladies infectieuses ne représentent plus que 2 % des causes de décès, les maladies respiratoires 7 %, et les maladies cardiovasculaires sont passées à la première place (33%) devant les cancers (27 %). Cependant la part des maladies cardiovasculaires baisse régulièrement depuis les années 1980, alors que celle des cancers continue de progresser. Le nombre des « affections de longue durée » (ALD) explose : le nombre d’assurés du régime général en ALD est passé de 3,7 millions de malades en 1994 à 6,6 millions en 2004 (12 % des assurés). Ces « ALD », ce sont essentiellement les maladies cardiovasculaires (2,2 millions), les cancers (1,3 million), le diabète (1,2 million) et les affections psychiatriques de longue durée (0,9 million). Elles représentent 60 % des dépenses de santé remboursées. On observe que le cancer touche des populations de plus en plus jeunes, et que l’obésité induit une durée de vie réduite, de cinq à vingt ans. (Aux Etats-Unis, plusieurs études prospectives ont montré que l’épidémie d’obésité va réduire l’espérance de vie moyenne). Des causes principalement environnementales. Pour les maladies cardiovasculaires, les facteurs de risque sont bien connus : excès de cholestérol et de triglycérides, hypertension artérielle, tabac, stress, sédentarité, pollution atmosphérique. On observe de grandes variations géographiques : une étude publiée en 1980 faisait apparaître un risque de mortalité coronarienne 26 fois plus élevé en Finlande qu’en Crète. Le régime alimentaire crétois est fondé sur la consommation de fruits et légumes, d’huile d’olive, de fromage et de peu de viande. Des résultats importants peuvent être obtenus par une action simple sur l’alimentation. En Finlande, en trente ans, grâce à une action volontariste de prévention, la population a changé largement ses habitudes, et obtenu des résultats remarquables de réduction du taux de maladies cardiovasculaires. Pour les cancers, la progression est souvent attribuée au vieillissement de la population, les risques de cancer augmentant avec l’âge. Mais celui-ci n’est pas seul en cause. Les cancers du poumon et de l’œsophage sont clairement liés à la consommation d’alcool et de tabac. Pour les cancers qui progressent le plus (sein, prostate, peau, cerveau, testicule, lymphome, …), les substances chimiques appelées « perturbateurs endocriniens » sont très vraisemblablement en cause. Près d’un enfant sur six, en France, est obèse (taux multiplié par six en 40 ans !). L’obésité est un problème majeur de santé publique, car elle induit d’autres maladies : diabète, certains cancers, maladies cardiovasculaires, asthme, troubles mentaux, et problèmes orthopédiques. Obésité et diabète peuvent être évités par un changement d’alimentation et de mode de vie. On est passé en un demisiècle d’une alimentation essentiellement à base de pain à une alimentation trop riche en lipides, en sel, en sucre ; dans le même temps, la quantité d’efforts physiques nécessaires à la vie quotidienne a fortement diminué. Les causes de l’accroissement statistique des « affections psychiatriques de longue durée » (900 000) restent mal connues. Mais on a mis en évidence, là encore, dans certains cas le rôle de perturbateurs endocriniens. De même , la maladie d’Alzheimer (155 000 cas, non comptés parmi les 900 000), contrairement aux idées reçues, n’est pas seulement une conséquence du vieillissement : une étude conduite en Suède au début des années 2000 a estimé à 52 % le poids des facteurs environnementaux dans son déclenchement. Dans le cas de l’asthme aussi, qui affecterait quelque 6 millions de personnes, les facteurs environnementaux sont déterminants. L’impact de la pollution atmosphérique pour la France a été chiffré à 31 700 décès prématurés par an, dont 17 600 liés au trafic automobile (3 fois plus que les accidents de la route !) ; 450 000 bronchites chez les enfants ; 820 000 cas d’asthme… La pollution est extérieure, mais aussi intérieure : l’air est plus pollué chez soi que dans la rue ! Les substances chimiques sont partout : formaldéhyde (dans les colles, les cosmétiques et les produits domestiques) ; phtalates, pesticides, … Elles portent aussi atteinte à la biodiversité. Rappel historique de la Santé publique. Louis-René Villermé fait partie des premiers médecins hygiénistes. Son rapport de 1840 à l’académie de médecine inspirera la première loi de protection des enfants en 1841. Les causes infectieuses de nombreuses maladies ont été découvertes, à la suite des travaux de Pasteur, à partir de 1860. La première révolution de santé publique, au début du XXème siècle, permet de les faire décliner très sensiblement. Un système d’assurance sociale, assurant aux travailleurs un revenu de compensation en cas de maladie, d’accident du travail, d’invalidité ou de vieillesse, géré par les partenaires sociaux et financé par des cotisations proportionnelles au salaire, est mis en place en Allemagne (Bismarck, dans les années 1880), puis en Autriche (1888), au Danemark (1891), en Belgique (1894), et enfin en France (1930). En Grande –Bretagne, un système de protection sociale financé par l’impôt et géré par l’Etat est mis en place par Lord Beveridge (1942), puis adopté dans les années 1950-1060 par les pays nordiques. En France, les assurances sociales sont rendues obligatoires en 1945. L’ordonnance du 4 octobre 1945 précise : « La sécurité sociale (…) répond à la préoccupation de débarrasser les travailleurs de l’incertitude du lendemain, de cette incertitude constante qui crée chez eux un sentiment d’infériorité et qui est la base réelle et profonde de la distinction des classes entre les possédants sûrs d’eux-mêmes et de leur avenir et les travailleurs sur qui pèse, à tout moment, la menace de la misère ». En matière d’assurance maladie, les indemnités journalières forment alors l’essentiel des dépenses (contre 8 % aujourd’hui). Le chômage n’est pas inclus dans la sécurité sociale, il fera l’objet d’une autre législation en 1958, avec la création des Assedic. La Constitution de 1946 reconnaît le droit à la santé comme un droit constitutionnel. Le droit à un environnement sain ne sera reconnu en France qu’avec l’adoption en 2005 de la Charte de l’environnement, adossée à la Constitution. L’enjeu actuel est de s’inspirer à la fois de Villermé et de Pasteur pour construire les systèmes de santé et d’assurance maladie modernes. Il faut aujourd’hui une seconde révolution de santé publique. Pourquoi le système de santé est-il en crise ? En 1958, la loi Debré donne naissance aux centres hospitaliers universitaires (CHU). Les CHU vont profondément transformer la pratique médicale, au détriment du système de soins de proximité, en concentrant les moyens techniques lourds. « Cette médecine scientifique », écrit le Professeur Grimaldi, « tend à réduire sa vision à celle des organes malades. » Et ce spécialiste du diabète poursuit : « le progrès dans ma spécialité n’est pas venu principalement de la pharmacopée (l’insuline a été découverte en 1921), mais des sciences humaines. En effet, le plus grand progrès en diabétologie depuis trente ans est l’éducation du patient. » La concentration des activités de soin à l’hôpital et le développement des coûts liés aux techniques font que l’hôpital représente aujourd’hui en France près de la moitié des dépenses de soins. Peu à peu, se développe l’idée que l’hôpital produit des services et que ces services peuvent faire l’objet de transactions marchandes. Les activités rentables, comme la chirurgie, sont peu à peu transférées vers les cliniques privées. La France se distingue par une exceptionnelle addiction aux médicaments. La consommation française était en 1996 de 395 $ par an et par personne, contre 124 aux Pays-Bas et 128 en Norvège, pays qui ne passent pas pour sinistrés sur le plan sanitaire. Le schéma d’hier, pertinent pour les maladies infectieuses (une cause = un effet = un médicament = guérison) n’est plus adapté aux problèmes de santé d’aujourd’hui, liés majoritairement aux maladies chroniques. A qui fera-t-on croire que la solution à l’obésité serait un médicament, un vaccin ou la chirurgie dite « bariatrique », qui vise à diminuer le volume de l’estomac ? Les millions dépensés pour la mise au point de médicaments anti-obésité seraient plus utiles dans une stratégie d’éducation pour la santé et de lutte contre la « sédentarité et la « malbouffe ». Dans le cas des maladies cardiovasculaires aussi, la réduction du sel de l’alimentation, la limitation des calories et des graisses saturées seraient des mesures préventives pertinentes. Selon un chercheur à l’INSERM, une réduction de 30 % de l’apport de sel permettrait d’abaisser de 16 % le nombre de décès par infarctus, alors que le traitement médicamenteux de tous les hypertendus n’en préviendrait que 9 %. On prescrit en France quatre fois plus de psychotropes que partout en Europe : rien ne justifie un usage aussi massif, si ce n’est la difficulté de vivre que cela traduit et qui ne trouve aucune autre solution. L’industrie pharmaceutique est devenue la plus profitable au monde. Et les frais de marketing y sont deux fois plus élevés que els dépenses de recherche. Mais une autre politique se dessine au niveau mondial pour faire en sorte que le médicament soit considéré comme un bien public. Crise du sang contaminé, Tchernobyl : ces drames pouvaient être évités, l’idée du principe de précaution fait son chemin. En 1998, naissent l’Institut national de veille sanitaire, l’agence française de sécurité sanitaire des aliments, l’agence française de sécurité sanitaire des produits de santé ; puis en 2001, l’agence française de sécurité environnementale, l’observatoire de la qualité de l’air intérieur. Mais la mutation des institutions, de la prévention à la précaution, n’est encore que très partielle. Le syndicalisme a perdu sa légitimité dans la gestion de l’assurance maladie. Depuis le 1er janvier 2000, avec la création de la couverture maladie universelle (CMU), l’accès à la couverture maladie n’est plus liée au seul travail. Le mode de financement a évolué, avec la création de la cotisation sociale généralisée (CSG), qui est un impôt, non une cotisation. De nouveaux acteurs sont apparus : avec la crise sanitaire du sida, un mouvement associatif des patients s’est structuré, et a mené des actions d’éducation (sur les moyens d’éviter la transmission de la maladie), des actions en direction de l’industrie pharmaceutique, des actions de médiatisation ; d’autres mouvements ont émergé à propos des maladies nosocomiales, et de l’affaire de l’amiante. Aujourd’hui, le Comité interassociatif sur la santé (CISS) regroupe 2’ grandes organisations de malades, de victimes et de familles. Le mouvement mutualiste, enfin, joue un rôle particulier. Mais tous ces acteurs restent tenus en marge de la gestion du système de santé, caractérisée par un déficit démocratique grandissant. On retrouve ce déficit démocratique dans la gestion du financement de la sécurité sociale. C’est seulement depuis 1996 que le Parlement a acquis le droit de se prononcer sur ce point. Or, les dépenses de santé ont augmenté régulièrement, passant de 3,5 % du PIB en 1960 à 8,9% en 2002. Le déficit prévu pour 2007 est de 3,9 milliards d’euros. La dette de l’Etat était évaluée à 5,9 milliard d’euros à la fin 2006. Les exonérations de cotisations patronales (23, 6 milliards d’euros en 2006) ont été multipliées de manière désordonnée, sans la moindre évaluation. Le fardeau de cette dette a été rejeté sur les générations futures, par le biais de la Caisse d’amortissement de la dette sociale… Sortir de la crise Depuis 1974, les plans se sont succédé pour combler « le trou de la sécu ». Pour l’assurance maladie, le principe est toujours le même : augmenter les cotisations, diminuer les remboursements. Certains préconisent la privatisation du système de santé. C’est ce qui s’est passé aux Pays-Bas le 1 er janvier 2006. La perspective de la Commission européenne d’inclure la santé dans les services susceptibles d’être ouverts au marché était au cœur de la première directive Bolkestein et on sait qu’elle n’a pas renoncé à son projet. Pourtant, on dispose d’un exemple en vraie grandeur qui montre où mène une logique privatisée : c’est celui des Etats-Unis. Bien que 16 % de la population n’aient en 2004 aucune forme de couverture, les Etats-Unis dépensent beaucoup plus pour leur santé (15,3 % de leur PIB) que les autres pays de l’OCDE (dont la moyenne se situe à 8,9%). Dans le classement établi en 2000 par l’OMS d’après les indicateurs sanitaires, les Etats-Unis arrivent en 37 ème position, derrière le Costa Rica, et loin derrière les pays européens. La France arrivait première à ce classement. Les franchises médicales vont dans ce sens : plus sera importante la part des dépenses de soin non remboursées par le régime général, plus sera légitimé le rôle des assurances privées complémentaires. Plus aussi une fraction de la population (les jeunes) risque d’être séduite par une logique du chacun pour soi au détriment d’une logique de solidarité (avec les vieux). Comme si les jeunes d’aujourd’hui n’étaient pas les vieux de demain. D’autres proposent une « maîtrise médicalisée » : mener une campagne sur le bon usage des antibiotiques, évaluer les pratiques des établissements et des médecins. C’est le rôle de la Haute autorité de santé , instituée en 2004. Cette fonction est nécessaire, mais néanmoins insuffisante. Car, avant d’être un coût, qu’il faut réduire, la santé est une richesse. Il faut s’attaquer sans tabou aux facteurs de risque sanitaires. Il faut refonder le système, pour passer d’une logique de soins à une logique de santé. Refonder le système de soins. De nombreuses initiatives (maisons de santé, centres de santé, ….) essaient de conjuguer une triple dimension, de soins, de prévention et de coordination entre acteurs médico-sociaux. Certaines d’entre elles obtiennent le soutien de collectivités locales : qu’il s’agisse de la prévention de l’asthme (création d’un métier de « conseiller en habitat-santé »), ou de repérage et de prévention de maladies professionnelles, …). Des « réseaux de santé » regroupant hôpital, professionnels libéraux et association se sont multipliés. Sortir de la surconsommation de médicaments est également nécessaire. La campagne sur les antibiotiques a montré que les comportements pouvaient changer. L’aspiration des jeunes médecins à disposer de plus de temps personnel est parfaitement légitime et sa satisfaction n’implique pas une diminution du service rendu aux assurés. La solution passe par une gestion de l’offre des soins de proximité, via les maisons de santé. La liberté totale d’installation ne permet pas de répondre à la demande et il est nécessaire de l’encadrer par des mesures d’incitation, voire par des quotas minimaux et maximaux. Si l’objectif devient l’accès à la santé, le paiement à l’acte est inadapté. Refonder la prévention. Agir sur les facteurs de risque. Lutter contre le cancer nécessite d’enlever de notre environnement les substances cancérogènes. Le règlement européen REACH devrait à cet égard constituer un point d’appui : il impose aux industriels de tester la nocivité de 12 000 des 100 000 substances chimiques qu’ils utilisent, d’ici à 2018. Mais d’ici là chaque Etat membre peut anticiper en prenant des mesures d’urgence sur son territoire. Par exemple, une réduction drastique des pesticides (impliqués dans les cancers de l’enfant). Développer les transports en commun, c’est mener une politique de santé. Mais aussi agir pour la haute qualité environnementale des bâtiments… Toute politique publique a un impact sur la santé et devrait être systématiquement évaluée de ce point de vue. Il est nécessaire de redéfinir avec l’industrie agroalimentaire les moyens pour sortir de l’impasse dans laquelle est arrivée la nourriture industrielle. Cela suppose par ailleurs le soutien à l’agriculture paysanne et biologique ; l’interdiction de la publicité télévisée pour l’alimentation à l’intention des enfants... Agir par l’éducation à la santé. Développer une expertise scientifique protégée des pressions des lobbies alimentaires ou pharmaceutiques. Refonder la démocratie sanitaire. Les Verts proposent que la politique de santé soit menée à l’échelon régional (comme le régime actuel d’assurance-maladie de l’Alsace-Moselle) : il y a en effet de grandes disparités entre les régions en matière de santé. Le conseil d’administration du « conseil régional de santé » serait composé de trois collèges élus : le premier par des listes présentées par les syndicats, mais aussi des associations de malades et de victimes, des associations familiales, consuméristes ou écologistes, les mutualistes ; le deuxième par des représentants des collectivités locales ; le troisième par les professions de santé. Ce conseil régional de santé s’appuierait sur trois agences régionales en charge respectivement de l’offre de soins, de la santé environnementale et professionnelle, de l’éducation et de la promotion de la santé. En tout état de cause, une réforme de cette ampleur suppose un vaste débat dans la société française. Les questions de santé sont en effet au coeur du contrat social.
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Congrès Parisien:
http://www.sfsp.fr/manifestations/manifestations/infos.php?cmanif=29&cpage=2

Expertise profane, outil de démocratie sanitaire:

http://www.canal-u.tv/video/canal_u_medecine/sfsp_lille_2011_l_expertise_profane_outil_de_democratie_sanitaire.7668

++: les Figures nécessaires d'une démocratie de la santé.

http://www.canal-u.tv/video/canal_u_medecine/sfsp_lille_2011_l_expertise_profane_outil_de_democratie_sanitaire.7668