mercredi 9 mars 2016

Article inspirant d'André Larocque sur la démocratie.

RÉFORME DÉMOCRATIQUE:
Un texte de André Larocque (ex-sous-ministre de la réforme démocratique sous René Lévesque), d'une remarquable brièveté, clarté, efficacité et vérité:
« LA DÉMOCRATIE QUÉBÉCOISE ET CANADIENNE. UN BILAN DE SANTÉ »
Ce colloque se propose d’établir le « bilan de santé » de la démocratie québécoise et canadienne. J’ai un intérêt certain pour les deux mais une expertise personnelle limitée à celle du Québec. Le court propos qui va suivre tentera de dégager quatre grands points :
1- le patient est gravement malade
2- le patient connaît bien les remèdes qu’il faut
3- mais il y a un empêchement majeur à la guérison
4- et ça va prendre un « remède de cheval » pour revenir à la santé.
Le patient est gravement malade
Le dernier grand bilan de santé au Québec a été fait en 2002-2003. Ça s’est appelé les États généraux sur la réforme des institutions démocratiques. Claude Béland a présidé à la plus vaste consultation populaire dans toute notre histoire. 27 assemblées publiques dans 20 villes de 16 régions, des milliers d’interventions de citoyens, des centaines de mémoires déposés et, à la fin, une intense réunion de 1000 citoyens réunis pendant trois jours à Québec.
Verdict ! Je cite :
« Le cœur citoyen est inquiet. Un profond sentiment de désabusement à l’égard de la politique traverse le Québec. La frustration du citoyen est palpable devant son impuissance à influer, comme il le voudrait, sur les décisions qui ont un impact sur sa vie et sur celle de ses pairs ». (Claude Béland, Rapport du Comité directeur des États généraux sur la réforme des institutions démocratiques, page 21)
Le patient connaît bien les remèdes qu’il faut
Je remercie les organisateurs de ce colloque d’avoir, via la maison Crop, identifié la
volonté de guérison du patient et quelques-uns des remèdes à utiliser : réforme du
mode de scrutin, élimination de la publicité partisane, formation démocratique au
secondaire, abolition de la ligne de parti, meilleure représentativité hommes/femmes.
Les mêmes remèdes – et d’autres plus radicaux encore – ont été identifiés aux États généraux de 2003. À plus de 80% on a préconisé notamment, en plus de ce que je viens de mentionner : une constitution pour le Québec, l’initiative populaire, la décentralisation des pouvoirs vers les régions, l’élection du Premier ministre au suffrage universel.
En un mot, le patient sait ce qu’il veut et depuis longtemps.
Mais il y a un empêchement majeur à la guérison
Un auteur britannique a dit fort succinctement mais fort justement « British government is party politics » En français, le pouvoir du peuple, le cœur même de la démocratie, a été usurpé par les partis politiques. Nous vivons dans une démocratie représentative fort chambranlante où le pouvoir des partis politiques s’est substitué à celui des citoyens. En matière de changement d’institutions, les élus sont les pires ennemis des électeurs !
Comme cet atelier porte d’abord sur le financement des partis politiques, je vais illustrer mon propos par le sort fait à la loi québécoise du financement des partis. Mais laissez-moi vous rappeler un mot de René Lévesque : il disait que toute sa carrière politique aurait été justifiée s’il n’avait réussi à faire passer que cette seule loi !!
Dans le mémoire qu’il soumettait au Conseil des ministres, le 23 février 1977, Robert Burns identifiait comme le premier de cinq principes fondamentaux de la loi, celui-ci : « la primauté absolue des électeurs… »
Vous savez le reste. Une loi qui a été pour un temps un modèle pour rien de moins que la planète entière a été progressivement érodée puis détournée carrément. Je cite les mots du père de la loi, Robert Burns. Ils datent de novembre 2012
“Aujourd’hui l’orientation de départ est faussée et même renversée. On substitue le financement de l’État au financement populaire. On substitue la guerre à a corruption à la démocratisation des institutions. On substitue les partis politiques à la volonté populaire ». (Robert Burns, « Pour sauver l’héritage de René Lévesque », Le Devoir, le 16 novembre 2012)
Le bateau amiral de la flotte de René Lévesque a été coulé par un gouvernement dirigé par le parti fondé par René Lévesque. Devrait-on dire qu’il repose dans « un champs en ruines » !
Vous avez, comme moi, suivi les délibérations de la Commission Charbonneau. Vous ne saviez peut-être pas, comme moi, que dans la loi du financement de 1977, le Directeur général des élections disposait d’exactement les mêmes pouvoirs que ceux que détient la Commission Charbonneau. Il ne s’en est jamais prévalu ! Pendant plus de quarante ans, élus et administrateurs responsables, ont laissé s’échapper une pièce-maîtresse de notre démocratie. C’est qui les coupables ?
Deux citations rapides :
De Gilbert Lavoie (édito dans Le Soleil) le 13 mai 2014) « Sur le financement des partis, on a vu une illustration d’hypocrisie de la part des politiciens, et une belle dose d’incompétence de la part du Directeur général des élections qui devait surveiller çà ».
De Bernard Descôteaux (édito du Devoir le 17 mai 2014)…. »Les acteurs de ce drame (l’échec du loi du financement), ce sont les politiciens eux-mêmes…ce sont eux qui en ont dénaturé le sens ».
Comme disent les Anglais : « the enemy is within… »
En d’autres mots : « Les machines politiques sont devenues des monstres ».
Ça va peut-être vous surprendre mais ces mots ne sont pas de moi. Ils ont été
prononcés par un ancien ministre à la réforme des institutions, un homme bien connu pour son réalisme, Marc-Yvan Côté. Il les a prononcés devant la CommissionCharbonneau.
Ça va prendre un « remède de cheval » pour revenir à la santé.
Pour guérir le patient, va falloir contourner les gens qui entretiennent les causes de sa maladie. Pour rétablir la souveraineté populaire à la place où elle doit être, au cœur de notre démocratie, va falloir y subordonner le pouvoir des partis politiques.
Vous allez peut-être penser que j’ai un sens de l’humour un peu douteux mais j’ai choisi de vous présenter une citation de Bernard Drainville. Elle vient d’un texte qu’il a publié le 25 août 2011, lequel suivait une large consultation populaire menée par le député et qui portait le titre « 10 idées pour redonner confiance aux citoyens ». Vous aurez compris que tout cela vient d’un moment AVANT que le député ne devienne ministre et ne préside lui-même à réécrire la loi de René Lévesque sur le financement des partis !!!
« les Québécois ont perdu confiance envers leurs élus et leurs institutions démocratiques… (ils ont) le sentiment d’être complétement écartés des décisions qui les touchent. (…)
« Il ne faut plus que le citoyen se retrouve seul face au système des partis, face aux machines organisées des partis et des lobbies. Il faut que le peuple devienne le plus puissant lobby au Québec »
« la seule façon de remettre le Québec en marche, c’est de donner plus de pouvoir aux citoyens en renforçant considérablement leur prise sur les institutions démocratiques ».
Comment faire ? Deux solutions…une petite….et une grosse !
Dans le rapport du Comité directeur des États généraux de 2003, Claude Béland
recommandait notamment que soit constitué un Conseil citoyen de la démocratie. Ce conseil serait évidemment non partisan, habilité à recevoir en permanence (notamment via le net) les récriminations et les aspirations des citoyens, mandaté pour faire rapport annuellement à la Commission des institutions de l’Assemblée nationale.
Les États généraux, ça ne suffit pas. Les sondages occasionnels nous renseignent mais n’ébranlent jamais les élus. Ce dont le peuple a besoin, c’est d’une adresse, un no de téléphone, un bureau où il est entendu pour le vrai, en permanence et à partir duquel il peut lui aussi parler aux média et espérer être entendu un jour par l’Assemblée national. Ce bureau pourrait s’appeler : «Le Conseil national citoyen de la démocratie ». Sa première tâche devrait être de prendre la première année pour
parcourir le Québec dans toutes ses régions et faire l’inventaire de ce que les citoyennes et citoyens d’ici attendent de leur Parlement, de l’Assemblée nationale, des élections, du gouvernement et des députés.
Même avec la présence d’un tel conseil, on pourrait, on devrait recourir au grand
remède : une constitution pour le Québec d’aujourd’hui. Ce colloque s’est attaqué à
diverses dimensions de nos institutions : participation citoyenne, régime parlementaire, élections, mode de scrutin, etc. Mais ce qu’on appelle « nos institutions » forment un tout. Chacune a son impact sur chacune des autres. La façon la plus intelligente et la plus efficace de revoir nos institutions, c’est de rédiger une constitution. La façon la plus démocratique d’en arriver à une constitution, c’est de la confier aux citoyens eux-mêmes. Au peuple à décider. Ou bien le peuple décide, ou bien on n’est pas en démocratie.
Ce que je souhaiterais par-dessus tout comme conclusion de ce colloque, c’est que nous disions : …quels que soient les problèmes, quels que soient les causes…oublions tout çà pour l’instant et demandons à l’Assemblée nationale du Québec de renouer avec la démocratie québécoise et d’adopter une loi instituant une assemblée constituante citoyenne.
Vous me permettrez de faire une troisième petite incursion dans la langue anglaise : une des constitutions les plus importantes qui soient commencent par ces mots :
« We the people of the United States of America »
Souhaitons que nous nous donnions avant longtemps un texte solennel qui commencera par:
« Nous, le peuple du Québec… «


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