Mais il y a aussi décentralisation administrative. de fait le Québec est le territoire à peu près le plus centralisé au monde...
LA DÉCENTRALISATION
LE PLUS GRAND
DANGER : PASSER À CÔTÉ DE
L’ESSENTIEL
Mes
propos se veulent dans le prolongement des travaux et du rapport du Comité
directeur sur la réforme des institutions démocratiques - le comité présidé par
Claude Béland et qui a conduit aux États
Généraux sur la réforme des institutions démocratiques tenus à Québec, en
février 2003. Je cite :
« Les
régions sont le Québec. Elles sont le
lieu et l’espace où des personnes regroupées
consentent à s’appeler citoyennes et citoyens et à en assumer la responsabilité. Les régions construisent jour après jour la
société québécoise. Réunies en un gouvernement commun, l’État
québécois, les régions élaborent, partagent
et construisent le projet de société des Québécoises et des Québécois. »
(Rapport, page 48).
C’est en ce sens que je dis qu’un
des grands dangers qui nous guettent, c’est de passer à côté de
l’essentiel. Si le Québec n’ »a »
pas des régions, mais plutôt « est » ses régions , et que nos régions
sont dans l’état que l’on sait, ne risquons-nous pas d’être en train de passer à côté du pays, de
passer à côté des attentes de ses propriétaires, les citoyens.
Et c’est dans ce sens que je ne
traiterai pas ici du « dossier de la décentralisation » justement parce que je crois que la
principale erreur qu’on a faite depuis au moins 1960 c’est d’avoir fait de la
décentralisation un dossier. Dossier
administratif, dossier de développement économique, dossier de ministres et de
gouvernements successifs qui n’y croient pas, dossier de fonctionnaires qui
n’ont pas d’implication sur le terrain, dossier aussi de gens bien intentionnés
mais qui restent prisonniers de leurs bonnes intentions, enfin dossier par
excellence de colloques, de séminaires, de symposiums qui n’ont jamais manqué
depuis quarante ans et qui n’ont jamais abouti.
Il faut au plus vite fermer le dossier et passer à l’action.
« Décentralisation »,
c’est le mot technocratique qui a été inventé pour ne pas appeler l’animal par
son vrai nom. Le vrai nom c’est « démocratie
régionale ». La démocratie, ce
n’est pas un dossier : c’est une manière de vivre, une dynamique de
coexistence, une façon d’organiser non pas d’abord la vie en société mais
plutôt une façon d’organiser le pouvoir, la prise de décision dans cette
société. La décentralisation n’est pas
fondée sur des expertises; elle est fondée sur des personnes, les citoyens.
Je
cite le livre blanc (non publié mais qui aurait dû l’être à l’automne de 1977))
du Comité ministériel sur la régionalisation présidé par le nouveau Premier
ministre d’alors, René Lévesque :
« La
décentralisation c’est d’abord un acte de confiance envers les individus et un appel à leur créativité. Elle repose essentiellement sur la conviction
que les citoyens seront plus en mesure
de définir eux-mêmes leurs besoins et de répondre avec originalité et invention à leurs aspirations s’ils exercent une prise
directe sur la production des
services et activités qui les affectent quotidiennement. »
C’est
ce que disent en leurs propres mots, et depuis des années, les citoyens et
groupes qui viennent s’exprimer devant des instances comme la Commission
Bélanger-Campeau, les Commissions nationale et régionales sur l’avenir du
Québec ou les sporadiques occasions où les successifs ministres de
développement régional (rouges ou bleus indistinctement) font mine de les
écouter. Citation du Rapport de la
Commission nationale sur l’avenir du Québec, 1995, page 33 :
« le
citoyen constitue le pivot de la décentralisation;
« les citoyennes et les citoyens élisent leurs
représentants au suffrage universel et ces
derniers répondent de leurs décisions devant l’ensemble de la population dont ils tiennent leur mandat ».
Manifestement, et depuis
longtemps, les citoyens ont compris la vraie nature de la
décentralisation.
Il s’agit d’une question d’abord politique… et
non pas administrative,
Il
s’agit d’aménagement de l’État lui-même… bien avant de devenir une question d’aménagement des ministères de
l’État,
Il
s’agit d’une responsabilité qui appartient aux propriétaires de notre
démocratie, les citoyens,…et non
pas à leur personnel rémunéré, les élus ou les fonctionnaires.
Or, nous savons très bien comment
s’organise normalement une société politique démocratique, c’est-à-dire un ensemble
de citoyens réunis pour exercer le pouvoir sur un territoire qui est le
leur? Prenons par exemple le
Québec .
Je vous invite à oser répondre
« oui » à une des
questions suivantes :
(1) Est-ce que c’est au gouvernement à
déterminer pour les citoyens quelles sont
les priorités de cette société?
(2) Est-ce que ces priorités doivent émaner
de rencontres successives de comités,
de colloques, de congrès ou encore d’études diverses?
(3) Est-ce qu’il appartient aux ministères et
aux fonctionnaires de dresser la liste
des activités dont peuvent ou doivent s’occuper les citoyens au Québec?
(4) Est-ce que les députés à l’Assemblée sont
porteurs de mandats tels qu’ils répondent dans les faits aux demandes des citoyens des
régions?
(5) Est-ce que les cent vingt-cinq
circonscriptions actuelles de l’Assemblée nationale constituent
les vraies bases de l’organisation sociale, du développement
économique, de l’expression de la culturelle populaire des régions au Québec?
Si vous avez répondu
« oui » à ces questions, je n’ai même pas besoin de vous souhaiter
« bonne chance »…vous avez déjà tous les bons vents du statu quo qui
vous propulsent.
Si, comme moi, vous avez répondu
« non », il vous reste la tâche pas toujours reposante de définir
comment au juste établit-on des priorités et prend-t-on des décisions dans
cette société politique qu’est le Québec.
Nous l’oublions souvent : il ne s’agit pas d’un processus
administratif, rationnel, sous haut contrôle de spécialistes. Une chance! Il s’agit de tout le contraire :
Il s’agit d’un processus
collectif, qui repose sur des décisions faites par les citoyens face à des
partis politiques qui compétitionnent pour des mandats limités dans le temps et
pour lequels mandats il est incontournable de répondre périodiquement. Ça s’appelle un processus
démocratique . Il n’y a personne au
départ, dans un bureau, qui a établi
pour les Québécois la grande priorité nationale ou encore la liste des grandes
opérations à réaliser. Il y a
plutôt par exemple, un parti politique
qui dit que la grande priorité est la souveraineté du Québec, un deuxième qui
dit qu’il faut au contraire faire fonctionner la fédération canadienne et un
troisième qui dit que ce genre de préoccupation n’apparaît pas sur son écran de
radar. Il y en a un qui marche à partir
du postulat que l’État est « notre bien collectif le plus précieux »
(Lucien Bouchard) et l’autre pour dire qu’il faut commencer à en revenir de la
Révolution tranquille et de son État dans nos vies quotidiennes (Jean
Charest). Plus terre à terre, il y en a
un qui dit que la rue Notre Dame à Montréal doit être une autoroute et un autre
qui dit que vaut mieux un boulevard urbain.
Qui a raison? Qui a tort? Ce ne sont ni les gouvernements, ni les
députés, ni les experts, ni les fonctionnaires qui en décideront. Ce sont les citoyens. Ça ne se fera pas dans un colloque; ça se
passera dans le cadre d’une élection. Le processus comporte bien sûr ses problèmes
et appelle des réformes de toutes natures.
Mais y a-t-il meilleur processus? Y en a-t-il un qui renferme une plus
grande garantie de liberté? En existe-il
un meilleur pour créer le pays?
Il
y a quelque part dans les années soixante, on a pris très consciemment la
décision à Québec d’axer le développement économique de l’ensemble du Québec
sur celui de Montréal. On a postulé que
le développement de chacune de nos régions s’y emboîterait harmonieusement et
nécessairement. De toute évidence, ça
n’a pas été le cas. Il y a longtemps qu’on
le sait. Un des problèmes fondamentaux
c’est qu’on cherche la solution là justement où a été créé le problème, c’est-à-dire
à Québec. C’est à Québec que la
« démocratie régionale » devient de la « centralisation »,
qu’un problème de société devient un dossier, que le pouvoir citoyen est
remplacé par celui de la « machine ».
Mais
si on revenait à l’exigence populaire énoncée plus haut : « le
citoyen constitue le pivot de la décentralisation…les citoyennes et les
citoyens élisent leurs représentants au suffrage universel et ces derniers
répondent de leurs décisions devant l’ensemble de la population dont ils
tiennent leur mandat ».
Ça nous ramènerait à la
conclusion que :
La véritable décentralisation
exige :
* un retour au droit de propriété exclusif
des citoyens;
* des élus sur la base du territoire
régional;
* une vie politique compétitive entre
partis ;
* des élections effectives, au suffrage
universel, qui permettent aux citoyens de
trancher;
* un territoire effectif sur lequel s’exerce
le pouvoir citoyen.
En un mot, nous avons besoin de
gouvernements régionaux.
Présentement il n’est exigé de
personne de responsable de produire un véritable « programme
régional ». Un tel programme
émergerait nécessairement de l’affrontement de partis politiques sur le
territoire de la région. Et il n’est pas
du tout évident, bien au contraire, qu’il émergerait la même priorité dans
l’Abitibi-Témiscamingue que dans le Bas-du-Fleuve ou en Estrie ou ailleurs. Le mur-à-mur, ce n’est pas sur le terrain;
c’est dans les officines à Québec.
Présentement ce sont les
« hautes autorités », politiques ou administratives, qui dressent la
liste de ce dont les régions pourraient ou devraient s’occuper. La compétition démocratique redonnerait ce
rôle fondamental aux citoyens comme il se doit.
Présentement on demande au député
d’être sympathique pour le développement de sa région, mais pour des questions
sérieuses comme sa réélection, il n’est responsable qu’à un segment de la
population régionale et cela sur la base d’un territoire qui est au fond une
pure division administrative pour fins d’application de la loi électorale. Un gouvernement régional rétablirait la
jonction entre le mandat du député et sa responsabilité régionale.
Présentement le contenu du
« discours régional » à l’Assemblée nationale provient des partis qui
n’en répondent pas sur la base des régions ou encore des vœux pieux des députés
qui ne disposent d’aucun pouvoir dans le domaine. Un gouvernement à Québec qui ferait face à de
vrais gouvernements en région aurait rapidement à inventer autre chose qu’un
discours. Un député de Roberval, de
Bonaventure, de Mercier ou de Taschereau se rendrait vite compte qu’il n’est
pas crédible comme responsable régional.
À l’inverse un député élu par plus de 200,000 électeurs au
Saguenay-Lac-Saint-Jean comprendra vite que, lui, il a un véritable mandat
régional.
VOUS ME
DITES : IL RÊVE EN COULEUR LE
MONSIEUR…
Sans doute, les gouvernements
régionaux ne sont pas à nos portes. Ce
n’aurait pas été la première ni la seule fois que nos élites traditionnelles auront
réussi à priver les citoyens à la base du pouvoir qui leur appartient. (je
suis, à ce chapitre, un inconditionnel de René Lévesque qui menait une croisade
pour son peuple par-dessus la tête de ses élites). Mais peut-être y a-t-il des bribes d’espoir
à l’horizon, au sein même de la réflexion de nos partis politiques actuels.
Examinez le programme très
officiel de l’Action démocratique du Québec.
Il propose, croyez-le ou pas, des gouvernements régionaux. :
« L’ADQ
considère que le pouvoir régional doit correspondre aux régions administratives existantes. Ainsi les régions ne seront plus de simples
territoires administratifs. Elles deviendront des régions politiques de
développement avec lesquels l’État central conclura des ententes-cadres ».
Examinez la démarche du Parti
Québécois. Déjà dans son programme
officiel, il s’engage à la décentralisation même si, au pouvoir, il n’a pas
donné grand suite à l’expression du nouveau Premier ministre du temps, Jacques
Parizeau : « finis les jours du Notre Père qui êtes à
Québec »… Mais voilà que le PQ
s’oriente vers une constitution pour le Québec, et une constitution élaborée
par une constituante c’est-à-dire une assemblée citoyenne beaucoup plus large
que l’actuelle Assemblée nationale. Je
vois difficilement pourquoi les citoyens renonceraient, dans les cadres d’une
constituante, à des réclamations qu’ils répètent inlassablement devant toutes
les instances qui se présentent devant eux depuis des années. Une constitution à laquelle on associe les
gens du terrain va, au moins l’espère-t-on, refléter les attitudes du terrain
qui vont très fortement dans le sens de ‘soulager’ le gouvernement du Québec de
l’excédent de pouvoirs qui s’y trouve.
Examinez les démarches actuelles
du Parti libéral du Québec. Le discours
inaugural du Premier ministre, en mai 2003, a annoncé une réforme démocratique
« globale » en trois parties dont deux sont connues. La troisième, celle du système électoral, est
annoncée pour la reprise de la présente session. On ne connaît pas encore dans le détail le
projet du ministre de la réforme des institutions démocratiques mais comme il a
annoncé un système proportionnel mixte, on peut facilement postuler qu’il
comprendra un certain nombre de députés de région. Bien des formules d’élection sont possibles,
mais le jour où on introduira de vrais « députés de régions » à
l’Assemblée nationale, on commencera aussi à y faire pénétrer un pouvoir des
régions.
EN CONCLUSION
Fermons le dossier. Cessons les études. Mettons fin au débat entre spécialistes. Revenons à l’essentiel, c’est-à-dire à notre
monde. Si les régions sont le Québec,
les citoyens sont les régions. Il n’y a
pas de grande solution miraculeuse à trouver.
Il importe seulement et surtout de revenir à une approche, éminemment
perfectible bien sûr, mais éprouvée depuis longtemps : le processus
démocratique. Nous n’avons pas bâti le
pays à date à partir d’une étude. Et ses
premiers constructeurs ne sont pas ses gouvernants et ses fonctionnaires. Certains disent qu’ils attendent que
« naisse le pays ». Le pays
est né depuis longtemps et naît devant nous tous les jours.
Dans
la dernière entrevue politique qu’il a accordée, René Lévesque a répondu à la question :
« Au moment de quitter la vie politique, qu’est-ce que vous souhaitez
comme avenir au peuple québécois? Sa
réponse a été : « Qu’il se rende compte d’un fait
primordial : qu’il est probablement un des deux ou trois peuples les plus
‘le fun’, les plus intéressants, les
plus capables d’aujourd’hui ».
(L’Actualité, vol. 11, no
2, octobre 1985)
Les
régions sont le Québec. Les citoyens
sont les régions. Si on arrêtait de
décider à la place du monde et qu’on optait pour une dynamique axée sur eux,
peut-être qu’on réussirait à faire bien mieux encore que juste de la
décentralisation.
Québec
le 6 septembre 2004
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