(Version finale 6 janvier 2013)
La démocratie
au Québec: les partis contre les citoyens
Réflexions
d'un réformiste qui tire sa révérence
Un héritage trahi
Lorsque, en 1977, la Loi sur le financement des partis
politiques a été adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale, ce fut sans
doute mon plus grand moment de gloire!
Être sous-ministre dans le gouvernement dirigé, à mes yeux, par le plus grand
personnage politique de notre histoire, c’était déjà un grand privilège! Être
affecté à son dossier de prédilection, la réforme des institutions politiques,
c’était avoir tiré le gros lot! Et, chaque fois que René Lévesque réitérait sa
conviction voulant que toute sa carrière politique eût été justifiée, si, comme
bilan politique, il n’avait mené à bien que l’adoption de cette unique loi,
aussi appelée loi 2, ma fierté était
à son zénith!
Mais voilà
que cette fierté est complètement bafouée, le 6 décembre 2012 — jour sombre
s’il en est. Tenant depuis récemment les rênes du pouvoir, le parti, fondé par
René Lévesque, vient de procéder au sabotage définitif de la loi de René Lévesque. C’est pourquoi il est temps, pour moi, de
tirer ma révérence à la vie politique.
Grâce au
financement populaire, le projet de loi 2 de 1977 avait pour but principal
de remettre le contrôle des partis politiques entre les mains des seuls
citoyens. La loi 2 de 2012, quant à elle, rend ce financement populaire en
mettant les choses au mieux, marginal; et au pis, inutile. Tandis qu’avec la
loi 2 de 1977 on tâchait de sortir l’État des partis, avec le plus récent
on le met au cœur de leur financement. La première reposait sur l’adhésion
volontaire des citoyens; la seconde fait en sorte que l’État finance les
partis, car, aussi invraisemblable que cela puisse paraître, chaque fois qu’un
électeur exerce son droit de vote, son geste se change en espèces sonnantes et
trébuchantes. Autrement dit, la Loi sur le financement des partis politiques de
1977 « sortait l’argent de la politique », celle de 2012, à l'opposé,
fait de l'acte même de voter un geste
financier !
Par son
contenu, la seconde loi 2 est en contradiction directe avec les principes
et l’esprit de la première. On ne pouvait faire pire! Quand une banque se fait
voler, le geste le plus immédiat consiste généralement, non à modifier la loi
des banques, mais à arrêter les voleurs! La banque
du peuple se fait voler depuis des années, et cela, toutes les fois que
l’on s’écarte, par exemple, de la Loi sur le financement des partis politiques.
Tout le monde savait, bien avant la mise sur pied de la Commission Charbonneau,
que la loi était contournée par tous les partis… y compris le PQ. Enquêtant
pour le Directeur général des élections du Québec (DGEQ), le juge Jean Moisan
l’avait, en effet, condamné de manière explicite dans son rapport du 12 juin
2006. Or, quand il y a un vol, il y a un voleur. Les premiers voleurs à blâmer,
dans le contournement de la Loi sur le financement, ce ne sont pas les
contributeurs illégaux, fussent-ils de la mafia, mais les receveurs illégaux.
Il n’y aurait pas de donneurs s’il n’y avait pas de receveurs. Or les receveurs
illégaux, les voleurs, ce sont les partis politiques!
Le mot est
peut-être fort, mais il est juste. Ce sont les partis politiques qui devaient
veiller à appliquer la Loi, mais voilà que ces voleurs ont pris sur eux-mêmes
de la modifier! Désormais, l’État remplace le citoyen! Si l’État est une notion
juridique fondamentale, dans les faits, ce sont les personnes représentant les
partis politiques à l’Assemblée nationale qui décident pour l’État. Aussi
qu’ont-elles décidé? Elles ont opté pour ce qui suit :
- Lutter contre la corruption sans
toucher aux personnes corrompues, c’est-à-dire à elles-mêmes;
- Fixer, relativement aux
contributions des citoyens, un plafond de 100 $ pour mettre fin à l’utilisation
de prête-noms, comme si la corruption politique se limitait aux
prête-noms;
- Marginaliser les contributions
des citoyens en éliminant le crédit d’impôt;
- Se servir elles-mêmes
directement dans la caisse de l’État en s’attribuant des allocations sans
avoir désormais à fournir de justifications au Directeur général des
élections du Québec, ce qui équivaut à émettre un chèque en blanc puisque
ce sont les partis qui en détermineront eux-mêmes le montant;
- Partager les allocations aux
partis en proportion des votes obtenus par chacun d’eux à l’élection
précédente. Il s’agit, ici, d’un des principes les plus conservateurs qui
soient et qui reposent sur l’idée selon laquelle on considère les citoyens
comme figés dans leurs opinions quatre années durant. C’est comme si la
Ligue nationale de hockey donnait des allocations particulières aux
équipes qui ont atteint la finale de la coupe Stanley l’année précédente
et accordait la prérogative au gagnant de la coupe de déterminer la date
des prochaines séries! (Soit dit en passant, il faut saluer la remarquable
compréhension de la proportionnalité qu’ont les partis lorsqu’ils se
distribuent les fonds publics entre eux, alors que, après quarante ans de
débats, ils n’ont pas encore compris ce même principe dans la distribution
des sièges à l’Assemblée nationale!);
- Faire mine de s’attaquer au
problème important des dépenses électorales. La limite théorique de la Loi
électorale était de 11,5 millions de $. Les dépenses réelles des deux
vieux partis ont été de l’ordre de 8 millions de $. La nouvelle loi
baisse les dépenses permises à 8 millions de $! On n’aboutit à aucune
diminution des dépenses réelles; on n’a fait qu’abaisser un seuil
théorique qui n’avait jamais été atteint! Dire que la Coalition avenir
Québec (CAQ), qui demandait un plafond de 4,5 millions de $, et
Québec solidaire (QS), qui se veut un parti citoyen, ont avalé cela! Belle
hypocrisie!
De la loi 2 de 1977 à la loi 2 de 2012, on mesure
l’immense dégringolade dans les exigences que la classe politique s'impose à
elle-même. Y a-t-il quelqu’un de
vraiment surpris que l’on soit aujourd’hui réduit à s’en remettre à la
Commission Charbonneau?
Les citoyens versus
les élus
En 1977,
j’ai eu la responsabilité du Secrétariat à la réforme électorale et parlementaire.
Ma première initiative a été de faire, avec le concours d’une petite équipe de
recherchistes, l’inventaire de ce que René Lévesque entendait par réforme des institutions. Cela s’est
résumé en dix points et, donc, en autant de réformes. Cinq de ces réformes ont
été effectivement mises en place par le gouvernement Lévesque, à savoir :
- la Loi du financement des partis
politiques
- la refonte complète de la Loi
électorale
- la Loi de la représentation
électorale (carte)
- la Loi de la consultation
populaire (référendum)
- la Loi sur l’accès aux documents
publics.
Cinq autres sont restées en plan, ce sont les
suivantes :
- la réforme du mode de scrutin
« Le présent mode de scrutin est démocratiquement infect » (René
Lévesque);
« Notre mode de scrutin continue d’être simpliste, brutal et taillé sur
mesure pour assurer la prépondérance de gentlemen privilégiés et de ces groupes
d’intérêt que sont les vieux partis » (René Lévesque);
Le projet de loi sur une
« proportionnelle régionale », annoncé dans le discours inaugural du
Premier ministre, René Lévesque, a été laissé en plan à cause de la résistance
du caucus des députés et celle d’un certain nombre de ministres. (J’aurais
plaisir de vous faire parvenir copie du projet de loi par courriel.)
- l’introduction de l’initiative
populaire
« Le Livre blanc (sur le référendum) évoquait
l’initiative populaire que nous aimerions voir se développer au Québec comme
pratique politique. » (René Lévesque, dans La Passion du Québec);
Le projet de loi sur l’initiative
populaire a été laissé en plan (également disponible par courriel).
- les élections à date fixe
La prérogative du Premier ministre
l’autorisant à fixer la date des élections « est
à remiser au plus tôt dans quelque musée de folklore tribal » (René
Lévesque).
- l’élection du Premier ministre
au suffrage universel
« Un régime présidentiel, fondamentalement c’est la séparation du
pouvoir exécutif et du pouvoir parlementaire. Le premier est alors détenu par
un vrai Président, élu par tous les citoyens pour gouverner et administrer avec
droit de choisir son cabinet n’importe où dans la société et non plus seulement
parmi les effectifs forcément restreints d’un groupe parlementaire. Une fois
débarrassée de cette encombrante présence gouvernementale, le Parlement peut
alors se revaloriser sérieusement et non plus pour rire. Il a le
loisir et la liberté de se désencarcaner des partisaneries mesquines, d’assurer
pleinement et professionnellement son rôle de législateur, de scrutateur des
comptes publics et de contrepoids populaire à la puissance exécutive » (René
Lévesque).
- la décentralisation des pouvoirs
vers les régions
« La décentralisation est un vaste projet collectif qui renouvelle
la façon de vivre en société et de s’administrer… Elle est une conception
démocratique de l’organisation sociale et politique fondée sur un nouveau
partage des pouvoirs… » (René Lévesque).
Le fondateur
du Parti québécois, dès le départ, avait bien saisi que le vice fondamental
était dans nos institutions mêmes. Je le cite :
« Il faut bien le dire, nos institutions de type britannique étaient
et demeurent faites sur mesure pour perpétuer l’allure de clubs privés, à la
fois caricaturale et malsaine que s’y donnent volontiers les partis »,
et que la solution se trouvait dans de nouvelles institutions
adaptées à notre réalité et donc axées sur l’initiative populaire, la
représentation proportionnelle, la séparation des pouvoirs exécutif et
législatif, les élections à date fixe et, enfin, la décentralisation des
pouvoirs vers nos régions.
Cet ensemble
de réformes, je l’ai appelé l’héritage
démocratique de René Lévesque. J’ai passé trente-cinq années de ma vie à
chercher à réaliser cet héritage. Force m’est de constater que là où il a le
moins progressé, c’est au sein du Parti libéral (PLQ) et… du Parti québécois
(PQ); et où il a fait le plus de chemin,
c’est dans l’Action démocratique du Québec (ADQ).
Bien des gens, y compris parmi mes amis, n’ont jamais tout
à fait compris ce que j’étais allé faire du côté de l’ADQ de Jean Allaire et de
Mario Dumont. Pourtant, de 1999 à 2011, date de sa dissolution, l’ADQ avait
inscrit à son programme officiel non une ou deux réformes proposées par René
Lévesque, mais bien les cinq !
En 2000, Mario Dumont saisit l’Assemblée
nationale du projet de loi 192 sur l’initiative populaire. Ce n'était pas
n’importe quel projet, c’était celui de René Lévesque! Au PQ, non seulement personne
ne le reconnaît, mais en outre le gouvernement de Lucien Bouchard refuse d’en
débattre. En 2004, Dumont toujours dépose le premier projet de loi en vue d’établir
les élections à date fixe. Au tour du gouvernement de Jean Charest de refuser
d’ouvrir toute discussion. Le second projet à être déposé à l’Assemblée sur le
même sujet est le projet de loi 496 d’Amir Khadir, en 2011. Ironiquement,
ce projet du député de Mercier est un décalque de celui de Dumont! L’Assemblée
nationale est actuellement saisie du troisième projet de loi sur les élections
à date fixe (projet de loi 3). Curieusement, il ne reprend pas le modèle
Dumont-Khadir, mais s’inspire plutôt de la loi fédérale. Enfin, l'ADQ a été le
seul parti dans notre histoire à avoir inscrit à son programme officiel la
décentralisation au profit de gouvernements régionaux élus au suffrage universel
et à faire adopter par ses instances « une Constitution pour le
Québec ». Laquelle incorpore les cinq réformes
Lévesque.
Le
22 mai 2007, Daniel Turp, député du PQ de Mercier, a, pour sa part, déposé à l’Assemblée
nationale le projet de loi 191 relatif à une Constitution du Québec, puis le 18 octobre 2007, le projet de
loi 196 relatif à une Constitution
québécoise. À la différence de l’ADQ, dont le premier article se lit comme
suit : « La constitution est fondée sur la souveraineté populaire »,
les deux projets ci-dessus maintiennent les institutions britanniques actuelles
et se fondent sur le Parlement plutôt que sur le peuple.
L’héritage
de Lévesque s’est de nouveau retrouvé devant les États généraux sur la réforme
des institutions démocratiques en 2002-2003. Il s’agit de la plus vaste
consultation populaire de notre histoire sur la qualité de notre démocratie. Elle a été conduite par Claude Béland.
Vingt-sept assemblées publiques dans vingt villes et seize régions ont abouti à
un rassemblement de trois jours de mille citoyens venant de toutes nos régions.
Ces derniers ont opté pour ce qui suit :
- la réforme du mode de scrutin (à
90 %);
- l’introduction de l’initiative
populaire (à 80 %);
- des élections à date fixe (à 82 %);
- l’élection du Premier ministre
au suffrage universel (à 82 %);
- la décentralisation des pouvoirs
vers les régions (à 77 %).
Cette liste des priorités relative aux réformes a été reprise
par un mouvement issu des États généraux, le Mouvement démocratie et
citoyenneté du Québec (MDCQ) qui, encore aujourd’hui, est présidé par Claude
Béland.
Le Parti québécois n’a pas été complètement absent de la
démarche. Son programme actuel, adopté en 2011, prévoit qu’un gouvernement du
PQ fera adopter par l’Assemblée nationale une constitution québécoise pour l’immédiat
et créera une assemblée constituante pour préparer la Constitution de l’État
d’après l’indépendance. La seconde évidemment est hypothétique. La première,
comme toute constitution qui se veut démocratique, devrait être établie non pas
par le Parlement mais par une assemblée constituante citoyenne. Il reste encore
à comprendre au PQ que l’État appartient à ses citoyens et donc que la
souveraineté de l’État procède de la souveraineté populaire et non pas l’inverse.
Cette
erreur fondamentale est répétée dans le projet de loi du PQ sur l’identité québécoise
(2012). Celui-ci prévoit que l’Assemblée nationale crée une commission
parlementaire mandatée pour rédiger une constitution, commission formée de
quinze députés désignés par les chefs de partis auxquels s’ajoutent quinze
représentants de divers milieux nommés par le Premier ministre après
consultation avec le Chef de l’Opposition officielle. Voilà une démarche de
plus sous le contrôle des partis politiques! C’est vite oublier que la
légitimité des élus actuels et des personnes qu’elle désignerait tient de la
présente constitution… celle justement qu’il s’agit de remplacer! En d’autres
mots, les élus actuels n’ont pas la légitimité pour créer une nouvelle
constitution. En démocratie, cette légitimité ne peut appartenir qu’aux
citoyens. L’assemblée constituante doit être celle des citoyens à l’abri du
contrôle des partis. Son acceptation finale doit se faire non par un Parlement
issu de la constitution actuelle, mais par l’ensemble des citoyens lors d’un
référendum.
Sur un registre plus
positif, après que le député de Marie-Victorin,
Bernard Drainville, eut participé à une importante consultation citoyenne, où
il fut littéralement submergé par les opinions de tout un chacun, il a, le 25
août 2011, rendu public son rapport intitulé « Dix idées pour redonner
confiance aux citoyens ». On y dresse quatre premières grandes solutions
pour rétablir cette confiance, solutions qui sont les suivantes :
- élire le Premier ministre au
suffrage universel;
- tenir des élections à date fixe;
- doter le Québec d’un processus de
référendums d’initiative populaire;
- tenir un référendum sur le mode
de scrutin.
Parallèlement,
Sylvain Pagé, député de Labelle, a procédé à une consultation similaire. Rendu
public le 8 septembre 2011 et intitulé « Manifeste pour une nouvelle
culture politique », son rapport recommande une longue série de réformes,
dont celles-ci :
- l’initiative populaire;
- les élections à date fixe;
- la réforme du mode de scrutin;
- la décentralisation des pouvoirs
vers les régions.
Plus près de
nous encore, Dominic Champagne, artiste québécois, a publié récemment un
opuscule, intitulé Le gouvernement
invisible, dans lequel l’auteur milite pour une réforme des institutions
démocratiques centrée sur
- les élections à date fixe;
- l’initiative populaire;
- la représentation proportionnelle;
- une assemblée constituante;
- la limitation des mandats des
élus.
En un mot comme en cent, depuis 1977, chaque fois que l’on
consulte les citoyens sérieusement, l’on obtient les mêmes réponses! Faites
vous-même le test! Évidemment, il ne faut pas utiliser un vocabulaire
alambiqué. Les citoyens ne parlent pas la langue de bois, en revanche, ils
connaissent fort bien les objectifs à poursuivre. Ce sont ces objectis qu’il
faut identifier bien avant que les spécialistes ne s’en mêlent. Par conséquent,
posez les questions ci-dessous à vos amis, à des citoyens, ou encore à
vous-même.
Seriez-vous d’accord
- pour que les Québécois élisent
le Premier ministre directement, soit au suffrage universel?
- pour que les députés soient
exemptés de la ligne de parti?
- pour qu'un parti qui obtient
24 % des votes dans une élection se voie allouer 24 % des sièges
à l’Assemblée nationale?
- pour que les élections se
tiennent à date fixe?
- pour que les régions aient plus
de pouvoirs pour leur garantir un développement plus autonome?
- pour que les citoyens puissent
soumettre eux-mêmes un projet de loi à l’Assemblée nationale?
- pour que le Québec se dote, dès
aujourd’hui, de sa propre constitution?
Je serais
bien surpris que vous n’ayez pas répondu oui
à chacune de ces questions ou du moins à la grande majorité! Alors,
demandez-vous pourquoi ces réformes ne sont pas encore réalisées. Et ne soyez
pas surpris que le fossé continue à s’élargir entre les citoyens et leurs
institutions politiques traditionnelles. C’est que les partis n’entendent rien.
Pourtant, les citoyens s’expriment clairement! Pour preuve, voici quelques
courts extraits, tirés de différentes sources.
États généraux sur la réforme des
institutions démocratiques
« Le cœur citoyen, si on nous permet l’expression, est inquiet. Un
profond sentiment de désabusement à l’égard de la politique traverse le Québec.
La frustration du citoyen est palpable devant son impuissance à influer, comme
il le voudrait, sur les décisions qui ont un impact sur la vie et sur celles de
ses pairs…La dichotomie cœur-tête est présente et déchirante. Le citoyen a beau
faire l’effort de comprendre la complexité de la vie démocratique dans notre
monde moderne, il sent bien que les choses ne vont pas dans le sens souhaité.
Il répète à satiété ne pas avoir le sentiment de participer activement et
réellement aux destinées politiques, économiques et sociales du Québec »
(Rapport du Comité directeur des États généraux, p. 21).
Bernard Drainville
« Les
Québécois ont perdu confiance envers leurs élus et leurs institutions
démocratiques. Ils ne s’y reconnaissent plus. Ils ont l’impression de ne pas
être entendus et pis encore, de ne pas être écoutés par leurs représentants
politiques. Ce cynisme […] puise en grande partie sa source dans le sentiment
qu’ont les citoyens d’être complètement écartés des décisions qui les touchent,
de n’y être aucunement impliqués. [Je] ne puis que tirer une seule
conclusion : la seule façon de remettre le Québec en marche, c’est de
donner plus de pouvoir aux citoyens en renforçant considérablement leur prise
sur les institutions démocratiques. Il ne faut plus que le citoyen se retrouve
seul face au [sic] système, aux
machines organisées des partis et des lobbies » (« Dix idées pour
redonner confiance aux citoyens », p. 1-2).
Sylvain Pagé
« Le cynisme politique se répand de plus en plus chez les Québécois.
Pendant ce temps, une grande majorité des élus semble ignorer l’étendue du
problème et continue d’exercer la politique de la vieille manière : une
politique de confrontation et de publicité négative. Pour rétablir la confiance
des citoyens et pour réaliser des projets de société porteurs d’avenir, une
nouvelle culture politique est nécessaire » (Manifeste pour une nouvelle
culture, p. 14).
Les gens des
partis ne lisent peut-être pas les rapports, mais certainement les sondages. On
connaît le sondage annuel de l'évaluation des politiciens par les citoyens.
Comme l’affirmait le député de Marie-Victorin, lors d’un discours prononcé le
10 mai 2012 à l'Assemblée nationale alors qu'il était député de l’opposition :
« Nos concitoyens ont perdu confiance en nous[;] notre crédibilité comme
hommes et femmes politiques a atteint le même niveau que les vendeurs de chars
usagés [sic]. »
Sa constatation, si accablante qu’elle fût, n’était pas précise.
En effet, un sondage, paru dans Le Soleil
du 17 février 2003, il y a près de dix ans déjà, donnait 14 % de
popularité aux élus et… 20 % aux vendeurs de voitures d’occasion! On a
beau en rire, ce n’est à l’évidence pas drôle!
Évidemment qu’il y a une crise des
institutions. Ce ne sont pas nos
institutions.
On sait
pertinemment bien que nos institutions sont britanniques. Elles sont issues de
la culture politique britannique et nous sont
venues, on l’oublie souvent, par voie de conquête militaire. Or, la
culture politique québécoise est aux antipodes de celle des Anglais. En effet,
la société britannique est monarchiste, protestante, individualiste et
capitaliste. La société québécoise est, au contraire, antimonarchiste ou
républicaine (même si le mot lui-même tarde à s’implanter), catholique,
coopérative et sociale-démocrate.
Notre survie
même a planté fermement en nous un très profond sens de la solidarité, de la
concertation et du destin commun. Or, hérités tour à tour de l’Angleterre, le
système parlementaire et le mode de
scrutin sont fondés sur des valeurs contraires. Le système parlementaire
favorise la confrontation et la rivalité : il place face à face le
gouvernement de Sa Majesté et la loyale Opposition de Sa Majesté dans un
perpétuel duel simplificateur, où un dialogue de sourds oppose les bons aux
méchants, les bleus aux rouges, les fédéralistes aux souverainistes. Un
cul-de-sac érigé en système! Et ce système s’étend en dehors du Parlement.
Ainsi, on pourrait penser qu’il serait utile que l’on soit à la fois lucide et solidaire. Mais notre petit système d’incontournable compétition en
fait tout de suite un débat entre contraires!
Le scrutin anglais est le petit frère de
l’autre. Sa mission est de déformer l’expression de la volonté populaire pour
la rapetisser justement à un système de deux partis seulement (avec
généralement un troisième qui aspire à entrer dans leur club sélect). En dépit
de la grande pièce de théâtre qui se joue à l’Assemblée nationale, les deux
vieux partis s’entendent comme larrons en foire pour se succéder au pouvoir.
Chacun prétend qu’il fera de la politique
autrement, mais comme le dit bien la sagesse populaire et l’illustre bien
le gouvernement Marois, le résultat finalement est le même : blanc bonnet, bonnet blanc!
Il faut
croire que les Anglais sont heureux avec leurs institutions. En tous les cas,
il faut le leur souhaiter. Néanmoins, qui peut prétendre que les Québécois,
hormis ceux de la classe politique traditionnelle qui y font carrière, se
reconnaissent vraiment dans un régime, où l’on affirme
- que
sa Reine est la reine d’Angleterre (et la chef de l’Église
anglicane!)?
- que son Parlement est souverain,
alors que le seul vrai centre de souveraineté est le bureau du Premier
ministre?
- que son peuple élit le
gouvernement, alors que, dans les faits, ce sont les partis politiques qui
déterminent qui sera Premier ministre?
- que son Assemblée nationale
représente le peuple, alors que le vote, exprimé par ce dernier, est
constamment déformé pour servir les intérêts des partis?
- que son peuple élit des députés
pour les représenter mais si ceux-ci sont soumis à la discipline de parti
?
- que son peuple ne s’est jamais
donné une constitution de plein gré, mais où ses gouvernements se
soumettent à celle qu’il a, en connaissance de cause, refusée?
- que son peuple vit au sein d’une
confédération, alors qu’en réalité elle en est à des années-lumière?
Comment
expliquer que, depuis longtemps, un peuple vit en marge de ses institutions,
sinon par le fait que, ici comme ailleurs, ses petites élites aient très bien
appris à coucher dans le lit du pouvoir venu d’ailleurs en se gardant d’en
modifier les règles? Et, cela vaut manifestement pour celles du parti qui
prétend vouloir amener le Québec à son indépendance! Le PQ de René Lévesque
avait comme ligne d’action de transformer les institutions traditionnelles du
Québec. Devenu avant tout une machine électorale, le PQ d’aujourd’hui ne survit
que par ces institutions désuètes. Pendant que somnole l’idée d’indépendance du
pays, il se maintient exclusivement au pouvoir à cause du mode de scrutin. Pour
l’heure, s’il forme le gouvernement, c’est avec seulement 31.9 % de
soutien populaire, le plus faible de notre histoire!
British government is party politics
Un professeur
britannique a bien résumé le système politique anglais : en régime
anglais, le gouvernement du peuple, c’est le gouvernement d’un parti. Tandis
que les Révolutions américaine et française ont, chacune à sa manière,
transféré le pouvoir de la monarchie au peuple, la Révolution anglaise de 1688,
tout en maintenant la forme monarchique, a cédé les pouvoirs du roi au
Parlement… Oui, oui, au Parlement, non au peuple! Le Parlement, ce sont les
partis politiques. La révolution anglaise
en est encore là, trois cent vingt-cinq ans plus tard. Le pouvoir réel est
entre les mains des partis politiques, réduits, pour les besoins du pouvoir, au
nombre de deux. Les partis politiques sont entre les mains de leurs chefs.
Ceux-ci sont choisis à l’intérieur des partis, bien loin du suffrage universel
des citoyens. Ils imposent la ligne de parti à leurs députés loin, loin de
l’écoute des citoyens.
Il s’ensuit
que la participation réelle des citoyens, dans une démocratie où ils sont
censés être les maîtres, est réduite à apposer un X pour un candidat dans l’une
des cent vingt-cinq circonscriptions. Les partis s’occupent du reste. Pour s’en
convaincre, citons Lévesque :
« On sera toujours aux prises avec le bon vieux système
parlementaire à la britannique : le gouvernement faisant partie intégrante
d’un parlement soi-disant souverain mais en réalité ficelé par la ligne de
parti et asservi à toutes fins utiles [sic] à la dictature effective du cabinet
du Premier ministre et de son entourage. »
Dictature… Le mot est lâché. En régime
parlementaire britannique, le premier ministre a des pouvoirs beaucoup plus
larges et immensément plus discrétionnaires que le chef de gouvernement en
régime présidentiel. En effet, le premier ministre, sans jamais recevoir de
mandat direct du peuple, assume tour à tour une pléiade de fonctions, que
voici : chef de son parti, chef du gouvernement, chef du Parlement, chef
de l’Administration et chef réel de l’État. Ce faisant, à sa guise, il
convoque, proroge et dissout l’Assemblée nationale. Selon son bon vouloir, il
nomme sous-ministres, dirigeants des sociétés d’État, juges des cours du
Québec; il choisit le directeur de la Sûreté du Québec et même, le chef de
police de Montréal! De plus, il est celui qui approuve 99 % des projets de
loi soumis à l’Assemblée nationale, qui détermine le budget de l’État, qui
organise ou réorganise, comme il lui plaît, l’administration publique et,
enfin, qui détient un droit de vie ou de mort sur nos municipalités.
En somme, le
Québec ressemble à une vaste copropriété de huit millions de propriétaires.
Évidemment, l’affaire est trop grosse pour que tout le monde prenne toutes les
décisions tout le temps. L'histoire veut qu’on ait
adopté un système de gérance, où le gérant détient un contrat de cinq ans
maximum. Cependant, avec le passage du temps, les propriétaires se rendent de
plus en plus compte que le gérant fait à
sa tête. C’est lui qui détermine le moment où son contrat entre en vigueur
et se termine; qui choisit les règles selon lesquelles on élit le gérant; qui
puise librement dans l’argent de la copropriété pour financer son élection, ou
rembourser ses dépenses, ou encore se donner des services dits de recherche et autres. C’est lui qui
verra à la nomination du Directeur de ces élections; qui réaménagera le vote
exprimé par les propriétaires pour qu’ils lui donnent une majorité
disproportionnée; qui, au besoin, fera même fi du vote des propriétaires en se
proclamant lui-même élu même par une minorité! C’est lui encore qui contrôle de
façon absolue les finances de la copropriété, faisant miroiter aux
propriétaires, selon qu’il est en élection ou non, qu’elles sont inépuisables
ou, au contraire, réduites à une faible marge. Même que, au nom de la loi de la
concurrence, dans ses transactions, le gérant se croit justifié de ne pas informer
les propriétaires quand il brade des pans du territoire national ou encore nos
richesses naturelles. Lorsque les propriétaires
exigeront massivement une enquête sur la corruption où ils le soupçonnent
d’être impliqué, il fera la sourde oreille ou l’autruche. Et cela, même si,
depuis des années, les propriétaires crient leur perte de foi dans son système
de gérance et que, depuis une vingtaine d’années, ils lui accordent moins de
confiance qu’aux vendeurs de voitures d’occasion! Que reste-t-il aux propriétaires
à faire? Il faudrait changer non seulement le gérant, mais surtout de système
de gérance! Mais, comment fait-on? Il faut se conformer aux les règles établies
par le gérant! (Retournez à GO… sans réclamer
200 $...)
Avec le
régime parlementaire britannique et le mode de scrutin qui l’aggrave, les
Québécois vivent dans un régime d’usurpation du pouvoir citoyen par les partis
politiques. On mesure toute la force d’intuition d’un René Lévesque qui a voulu
que son premier — et plus important — geste soit de faire des électeurs les
propriétaires exclusifs des partis politiques. On constate aujourd’hui
l’immense recul parcouru, puisque la nouvelle loi sur le financement banalise
la contribution des électeurs et veille à ce que les partis politiques soient entretenus
par l’État. « Il ne faut pas que le
citoyen se retrouve seul face au [sic]
système, aux machines organisées des partis et des lobbies », avait
écrit l’actuel ministre des institutions démocratiques dans son rapport
intitulé, on s’en souvient, « Dix idées pour redonner confiance aux
citoyens ». Avec la nouvelle loi 2, voilà les citoyens plus seuls que
jamais devant les machines des partis!
La souveraineté populaire avant la
souveraineté de l’État : « We
the People… »
En usurpant le pouvoir citoyen, le Parti libéral vole le peuple dans ce
qu’il est. En usurpant le pouvoir citoyen, le Parti québécois, quant à lui,
fait bien pire : il vole le peuple dans ce qu’il voudrait et pourrait
être! Quarante-cinq ans après sa fondation, le PQ a entraîné le projet de
société qu’aurait pu être la souveraineté dans un cul-de-sac. Comment?
Essentiellement, en le rapetissant à un projet de parti politique. Parce
que, hélas!, l’indépendance, on le sait,
est devenue la propriété du PQ. Il en
détermine le contenu, la stratégie, les étapes et la date. Tandis que Pauline
Marois dit que l’initiative populaire
doit être subordonnée à l’initiative partisane, Gilles Duceppe affirme, pour sa
part, qu’il nous faudrait un nouveau mode de scrutin, un scrutin à deux tours.
Pourquoi? Parce qu’il permet une coalition des souverainistes! Mais, que
fait-on du principe qu’un mode de scrutin, c’est fait pour les citoyens et non
pas pour les partis politiques! On proclame solennellement la patrie avant le
parti, quand, dans les faits, la patrie est continuellement passée au moulinet
du parti. Les institutions nouvelles que réclament les Québécois et qui peuvent
être largement mises sur pied dès maintenant, notamment, par une constitution
pour aujourd’hui doivent attendre qu’on ait d’abord répondu oui au Parti québécois. La souveraineté
que le PQ réclame n’est pas celle des citoyens, celle de We the People… mais celle de l’État. Celle-là justement est la
chasse gardée des partis politiques.
Dès
aujourd’hui, combien serait plus fertile la démarche pour rebâtir un pays, si
elle était entreprise à partir des citoyens et en fonction du pouvoir citoyen. Combien plus
authentiquement distincte cette
société serait,
- si elle élisait son chef de
l’exécutif au suffrage universel;
- si son Assemblée nationale
reflétait fidèlement la volonté populaire;
- si ses députés libérés de la
discipline de parti étaient de vrais législateurs et avaient un réel
contrôle sur l’administration publique;
- si ses régions avaient
l’initiative et la maîtrise politique de leur propre développement;
- si les citoyens avaient
l’initiative des lois.
Bref, ce qui importe, c’est que cette société se constitue. Se donner une
constitution, c’est énoncer ses valeurs fondamentales, offrir une vision de la
société pour demain, déterminer comment on entend se gouverner, aménager
l’exercice du pouvoir non seulement à Québec, mais encore sur l’ensemble du
territoire.
Se
constituer, c’est d’abord proclamer, comme c’est le cas à l’article 1 de
la Constitution suédoise, que : « Tout pouvoir émane du
peuple ». Or, les deux projets de constitution,
soumis par le PQ en 2007, commencent comme suit : « Nous, le peuple… » Ces mots restent
suspendus en l’air, il n’y a pas de verbe! Il faudrait imiter la Constitution
américaine, dans laquelle il est écrit ces
premiers mots : « Nous le peuple ordonnons et établissons la présente
constitution. » Dans les
projets du PQ, on lit ceci à la place : « Le Parlement décrète ce qui
suit […] » Encore un beau cas où la primauté du Parlement, donc des partis,
l’emporte sur la souveraineté populaire! Pour revenir à l’image de la
copropriété, c’est comme si le gérant s’arrogeait l’immense pouvoir de refaire
l’ensemble des règles du condominium au
lieu d’en laisser l’initiative aux propriétaires.
Une traversée du Québec à mon goût
Avant même
qu’elle n’ait été prononcée, j’ai toujours été inspiré par le contenu d’une
réponse que René Lévesque donnait en entrevue à la fin de sa carrière et qui,
en réalité, avait fondé toute son action politique. La question de la revue Actualité (octobre 1985) posée à
Lévesque était la suivante :
« Au moment de quitter la vie politique, que souhaitez-vous comme avenir
politique au peuple québécois? »
Et, Lévesque de répondre :
« Qu’il se rende compte d’un fait primordial : qu’il est
probablement un des deux ou trois peuples les plus “le fun”, les plus
intéressants, les plus capables d’aujourd’hui. »
Il est de la
nature des élites, sinon de mépriser carrément le peuple, tout au moins de
mener son propre combat au mépris de celui du peuple. Ici, tout comme ailleurs,
ce fut le cas. Ce l'est encore. La monarchie française a abandonné le Québec. Le
haut clergé québécois s'est rangé du côté de la Couronne britannique. Nos
hommes d'affaires, notaires et communautés religieuses n'ont protégé
qu'eux-mêmes dans l'acte de la Confédération. Aujourd'hui, une élite
nationaliste mène une bataille négative, défaitiste, querelleuse, où nous
serions les perpétuelles victimes des Anglais et du fédéralisme, et où la prise
de conscience de nos malheurs nous mènerait à un État nouveau!
La réalité
est bien ddifférente. Depuis la découverte de l’Amérique, il existe sur ce
territoire, d’abord canadien, puis canadien-français et, enfin, québécois, un
peuple l’fun, intéressant et capable,
mais dont l’élite politique refuse de lui donner les conditions pour se
gouverner lui-même. Ce peuple, il pète le
feu culturellement. Il est très riche socialement, notamment, quant à
l’émancipation inégalée, sinon chez les Scandinaves, de la femme québécoise. De
plus, il s’est bâti économiquement en un temps record, mais, MAIS, il souffre
d’être dépossédé politiquement. Il est beau non à cause de, mais en dépit de sa
classe politique dirigeante. Comme l’exprimait tout récemment Fred
Pellerin : « Il y a la flouidité
québécoise, mais une chance qu’il y a le peuple! » Que serait-il, ce
peuple, si, à sa fougue culturelle, à sa force sociale et à son dynamisme
économique, il y ajoutait le pouvoir de décider par lui-même et pour lui-même?
Quelle revalorisation de la classe politique pourrait s’opérer, si le peuple
choisissait lui-même le Premier ministre! Quel admirable instrument collectif
pourrait être l’Assemblée nationale, si on la fondait enfin sur la volonté
nationale! Enfin, quel État modèle pourrait s’exprimer ici à travers une
constitution qui, pour la toute première fois en quatre cents ans d’histoire,
serait l’œuvre des citoyens d’ici!
L’hiver des institutions appelle un
printemps citoyen
Heureusement
que les citoyens savent se mobiliser en dépit de leurs institutions sclérosées.
Pour n’en rester qu’aux événements récents, c’est la pression populaire qui a
fini par donner naissance à la Commission Charbonneau. Qui aurait pu prédire
qu’en l’espace de quelques semaines la vieille classe politique se verrait
délester de Jean Charest, de Gérald Tremblay et de Gilles Vaillancourt? Et ça
ne fait que commencer! Ce sont les étudiants essentiellement qui ont eu la tête
d’abord de la ministre de l’Éducation, puis du Premier ministre. Il faut
souhaiter que Léo ne se fasse pas bouffer par son parti, que Gabriel donne un
sens large aux mots "travaux communautaires", que Martine poursuive
son combat… et que les centaines, peut-être les milliers de jeunes qu’ils ont
éveillés trouvent un écho à leurs aspirations.
Si, du haut
de mes soixante-seize ans, je peux me permettre de donner un conseil aux
jeunes, ce serait celui de lire l’opuscule d’un nouveau venu à la politique. Dominic Champagne a réussi à faire marcher
dans la rue 300 000 personnes à l’unisson à l’occasion du Jour de la Terre
de 2012. Dans Le gouvernement invisible,
il a cette merveilleuse réflexion :
« Je rêve d’une force politique qui puisse se mettre en phase avec
l’extraordinaire élan de démocratie et de mobilisation citoyenne que le Québec
a connu ces derniers temps. »
De mon point de vue, ce livre se lit comme la mise à jour d’Option Québec, de René Lévesque. À
l’instar de Lévesque, Champagne rompt avec le nationalisme diviseur et voit le
Québec comme « l’un des endroits où
le bonheur par habitant est l’un des plus élevés [et comme] l’un des pays les plus riches au
monde ». Il écarte la victimisation comme base de combat et
l’hostilité comme carburant. Il appelle, au contraire, à partir « du pays réel qui existe aujourd’hui »,
au rassemblement; il se place au-delà des questions d’ordres ethniques ou de
clivages gauche-droite. Il ne craint pas de mettre le cap sur des défis de
taille, à savoir « faire du Québec
une puissance mondiale en énergie verte ». Enfin, il fait le lien avec
les institutions :
« La solution pour les peuples passe par la reprise en main de leurs
institutions politiques […]. Je n’ai
aucun doute sur le fait que nous ayons le potentiel et la capacité de nous
gouverner et que nous saurions mieux œuvrer pour le bonheur de tous avec une
nouvelle Constitution pour le Québec. »
En cela Champagne rejoint encore les
mots mêmes de René Lévesque:
"Il n'y a rien d'aussi fondamental dans une société que la question
de ses institutions, de ses structures politiques qui forment le cadre de la
vie de tout le monde et de toutes les activités."
Comblé par la traversée
Si
j’accroche mes patins avec l’amère déception de voir le parti que j’ai
contribué avec bien d’autres à fonder en 1968 devenir la toute petite chose
politique qu’il est aujourd’hui, en revanche je n’ai pas le plus petit regret
pour l’ensemble de ma traversée du Québec. Je fus d’abord étudiant, ensuite
professeur, puis militant dans l’Opposition comme au gouvernement, puis
recherchiste, puis sous-ministre. Il m’a été donné de me frotter tout au long
de ma vie aux magnifiques qualités des citoyennes et des citoyens d’ici. J’en
sais quelque chose de leur ténacité, solidarité, créativité, intensité,
enthousiasme, ouverture, tolérance et attachement à leur communauté.
Je serai
toujours profondément ému du fait que ma vie s’est déroulée à l’ombre de
géants. Géant moral, d’abord : Jean Piché p.s.s., qui donnait un
extraordinaire cours de philosophie, axé sur la notion d’amitié. Géant
intellectuel : Jean Meynaud, lequel alliait une immense réserve de connaissances
à une non moins grande réserve d’humilité. Et bien sûr, mes trois géants
politiques. Il s’agit de Robert Burns, chez qui amitié et équité sont
synonymes; de Claude Béland, "monsieur coopératisme", "monsieur
démocratie", le prototype même du parfait citoyen et de René Lévesque,
dont l’histoire d’amour avec son peuple représente, selon moi, l’apogée de la
vie politique des Québécois.
Je me
garderai de nommer une seule des dizaines, des centaines, voire des milliers de
personnes qui ont alimenté ma vie de citoyen. Les plus proches ne sentiront pas
le besoin d’être désignées. Elles connaissent bien notre lien d’amitié. Les
autres peuvent difficilement être nommés puisque ce sont les jeunes à qui j’ai
enseigné, les militants avec qui je me suis battu, les collègues avec qui j’ai
travaillé, les gens dans toutes les régions que j’ai eu la chance de
rencontrer. À tout ce beau monde, je leur dis merci d’être ce que vous
êtes… et merci d’en avoir partagé une part avec moi.
Comme je
l’ai fait à de multiples occasions, en particulier avec mes étudiants, je cède
les dernières paroles à Jean-Jacques Rousseau, dont l’extrait est tiré de son Contrat social :
« Il ne peut y avoir de patriotisme sans liberté; de liberté sans
vertu, de vertu sans citoyens. Créez des citoyens et vous aurez tout ce dont
vous avez besoin; sans eux, vous n’aurez rien que des esclaves avilis, à
commencer par les autorités de l’État. »
André Larocque
Québec
Le 21 décembre 2012
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