Pour contrer le
démantèlement des régions
Miser sur la souveraineté
municipale et régionale
Roméo Bouchard, auteur de Y
a-t-il un avenir pour les régions (Écosociété) romeobouchard@hotmail.ca
Il ne fait aucun doute que les réformes et les coupures
annoncées par le Gouvernement dans les réseaux de la santé, des services
sociaux, de l'éducation, des garderies, des CLD, des Centre-Jeunesse, des CRÉ,
des municipalités dévitalisées, de Solidarité rurale portent un coup dur aux
régions périphériques.
Ces réformes et ces coupures, en plus de désorganiser la
concertation et le soutien indispensables dans des régions éloignées des centres,
vastes et peu peuplées, affecteront considérablement le nombre et la
répartition des emplois dans les
capitales régionales et les municipalités périphériques. Dans les territoires
les plus affectés par le déclin économique, compte-tenu du peu de retombées
qu'ils retirent désormais des ressources naturelles, les emplois reliés à l'éducation, à la santé
et aux services sociaux, aux organismes communautaires, aux instances
politiques et économiques locales et régionales occupent une place considérable,
et ce sont ces emplois qui sont touchés. Les régions ont donc toutes les
raisons de protester.
Un système et une culture de dépendance
Toutefois, les politiques de développement paternalistes
appliquées par les gouvernements successifs, limitées à des programmes
ponctuels sans prise sur l'exploitation des ressources naturelles concédées aux
grandes compagnies, ont développé une culture de dépendance, de fatalité et de
méfiance qui risque de freiner l'ardeur de beaucoup de dirigeants et de
citoyens. Les régions ne disposent d'aucun levier de pouvoir ni ressources
financières propres pour forcer le gouvernement à reculer ou à modifier le tir.
Les instances régionales et locales actuelles ne sont pas des instances
politiques autonomes mais de simples entités administratives qui dépendent
toutes des fonds et des décisions du Gouvernement. Les municipalités
elles-mêmes, malgré le titre flatteur de partenaires dont les gratifie le
gouvernement, sont plus asservies que jamais aux règles et au financement de l'État.
Quand aux Unions municipales, elles ne sont que des groupes de pression parmi
d'autres. Il y a donc tout lieu de croire que
le Gouvernement ne reculera pas: rien ne l’y oblige.
Une occasion pour les régions de bâtir leur autonomie
politique et financière
Puisque le Gouvernement les abandonnent et refuse de les
écouter, les régions et les communautés locales ne peuvent compter que sur
leurs propres moyens. Plutôt que de s'épuiser en manifestations, elles
devraient peut-être saisir l'occasion pour commencer à construire entre elles
leur autonomie politique, financière et économique. Et elles ont une base
solide pour le faire: la souveraineté municipale. En construisant
ensemble sur cette base, selon un plan progressif, elles peuvent élargir
considérablement leur espace d'autonomie et commencer à s'extirper du carcan de
dépendance qui les tue lentement depuis 60 ans. Voici les grandes lignes de la
démarche suggérée:
1) Réaffirmer la souveraineté municipale.
Les communautés territoriales de base sont le premier niveau
où s'exprime la souveraineté du peuple, fondement de toute autorité en
démocratie. Selon le principe de subsidiarité, la communauté de base a toutes
les compétences et ne délègue à des instances supérieures que celles qu'elle ne
peut assumer adéquatement. Tout pouvoir, y compris en matière fiscale, qui
n'est pas explicitement attribué à l'État, est attribué aux gouvernements
territoriaux (pouvoirs résiduels). Rien ne les empêche d'intervenir là où
n'existe aucune obligation ou interdiction dans la loi actuelle.
2) Élargir la légitimité des dirigeants locaux et
régionaux.
Pour augmenter la légitimité et l'imputabilité des dirigeants
locaux et régionaux, rien n'empêche ceux-ci de s'entendre entre eux pour
augmenter les postes électifs: le maire et les conseillers municipaux sont déjà
élus, mais à tout le moins le préfet de la municipalité régionale (qui réunit
les maires) et le président d'un éventuel conseil régional (qui réunirait les
préfets et maires de villes importantes) devraient et pourraient être élus au
suffrage universel lors des élections municipales. Rien ne les empêche non plus
d'instaurer des mécanismes de participation directe de la population aux
décisions: assemblées publiques de
consultation, budget participatif, référendums, comités de participation et de
vigilance, initiatives populaires, etc. Chaque village, MRC ou Région pourrait
même se doter de sa propre constitution. Tenant désormais leur mandat de la
population, les élus locaux et régionaux seraient forcés de lui rendre des comptes avant d'en rendre au
gouvernement, et leur rapport de force en serait d'autant accru.
3) Accroître leurs pouvoirs et leurs ressources
financières autonomes.
Le pouvoir de taxation, foncière et spéciales, et de
tarification pourrait servir de base au financement partagé de l'ensemble des
instances locales et régionales. À cela s'ajouteront le partage des taxes de
vente, des taxes sur l'essence et autres transferts, programmes et redevances à
négocier, ainsi que les investissements lucratifs désormais possibles, comme
les parcs éoliens communautaires. Des revenus supplémentaires pourraient aussi
être obtenus en négociant des retombées directement avec les compagnies qui
veulent exploiter des ressources naturelles locales, comme le font déjà avec
succès les communautés autochtones. Pour ce qui est des champs d'intervention,
rien n'empêche les instances locales et régionales d'occuper le terrain dans de
multiples domaines qui ne sont pas réservés au paliers supérieurs: souveraineté
alimentaire, éducation, santé, environnement, échanges extérieurs, commerce,
aménagement, gestion de l'eau, etc. Les règlements sont valides tant qu'ils ne
sont pas déclarés non conformes.
4) Restructurer leur territoire.
Enfin, tout le monde est conscient que le découpage
territorial actuel a besoin d'une sérieuse mise à jour. Beaucoup de
municipalités sont trop petites. Certaines frontières de MRC sont à réviser.
Les villes de centralité sont mal intégrées. Déjà, les Caisses populaires et
les paroisses ont réorganisé, elles, leurs territoires pour les rendre plus
fonctionnels. Mais les politiciens ont peur d'agir en raison des conséquences
électorales. Rien n'empêche les municipalités d'une MRC et les MRC d'une région
de convenir ensemble et de façon consensuelle des restructurations nécessaires
pour créer des espaces démocratiques plus fonctionnels, qui respectent les
territoires d'activité et d'appartenance actuels.
En somme, les régions n'ont pas besoin qu'on les
développe : elles ont besoin qu'on cesse de les piller et qu'on leur
permette de se développer elles-mêmes avec leurs propres ressources.
Quand les instances locales et régionales seront des entités
politiques autonomes dans leur domaine, on pourra parler de partenariat avec le
gouvernement, exiger d'être partie prenante à l'élaboration des politiques
nationales et d'inscrire cette autonomie dans les lois. Il sera temps alors
d'exiger la création d'une Chambre des régions à représentation
paritaire pour veiller aux intérêts des
gouvernements territoriaux auprès de l'Assemblée des députés.
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